Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/567

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Il ressentait de furibondes envies de lui parler, mais bien que le père Ramos fût peu estimé, car on prêtait à sa fortune les origines les moins honorables, il était certain que sa fille eût été médiocrement flattée des hommages d’un señorito d’élégance douteuse et d’avenir aléatoire.....

Oui, après tout, il n’était pas si tard et les mules marchaient bon train : il y avait encore de l’espoir : Le soleil ne se coucherait pas avant une heure et demie — et l’on dépassait déjà la Farola. Des maisonnettes blanches ou jaunâtres filaient sur le côté de la route, dont l’autre bord dominait de plus en plus de deux cents mètres l’Océan bleu pailleté d’éclats de topaze. Là-haut, sur la montagne rougeâtre et rousse, s’étageaient des palmiers, des vignes, de petits bois sombres de lauriers et de brezos. En bas, quelques voiles neigeuses mouchetaient l’eau éclatante. Au loin, deux longues et hautes crêtes de l’île de la Palma s’estompaient d’indigo sur l’horizon clair. À un coude de la grand’route, toute la vallée de La Orotava apparut comme une immense coupe à moitié pleine d’une mousse verte de végétation veloutée d’où émergeaient les deux noires montañetas volcaniques de Chaves et de Las Arenas, la première piquetée de grains de chaux qui étaient des villages ; des ruisseaux et des bassins miroitaient dans la verdure où s’éparpillait un semis de petites maisons multicolores pareilles à des touffes de fleurs. Sur une pente glissait l’éboulis crayeux des maisons de La Villa. Dépassant les puissants éperons et les cimes de sierras sombres, le pic de Teyde semblait une énorme tente brune et fauve, frottée de poudre d’or et juchée en plein ciel. Du parapet de la route à la plage lointaine fluaient, roulaient, paraissaient bondir comme des torrents d’émeraude les masses vertes et luisantes des plantations de bananiers nains.

Mais comme on allait vite ! C’était déjà le Ramal [1] de La Villa et — tout de suite après — La Palmita, une grande quinta [2] au frais revêtement de bois ajouré, perdue dans les odorants massifs diaprés et chantante de volières ! La Carretera, maintenant, avait l’air d’une large allée de parc toute bordée de géraniums rouges poussant à l’état sauvage, d’hibiscus à calices sanglants comme des gueules de fabuleux serpents d’où seraient sortis de minces dards en chenille jaune soyeuse, de cobocas bleu pâle, d’arbustes résineux à fleurs violettes, de flamboyants de feu et de

  1. Croisement-de routes.
  2. Maison de campagne.