Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/589

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main que renferme mon petit Louvre si connu dans toutes les Amériques pour ne vendre que des articles admirablement établis et neufs ! Mais ce portefeuille était en si bon état que je n’ai pas cru devoir être assez cruel pour en priver l’un de mes innombrables clients, sous le prétexte qu’il avait servi — oh ! si peu, sans doute ! — Regardez : Pas une éraillure ! Et le cuir, de première qualité, n’est terni nulle part. Frais comme l’œil d’un enfant !

Et savez-vous que c’est par une interposition de la divine Providence que l’objet vous plaît ainsi, tout de suite, à peine entrevu !

Car — et la grosse voix gutturale de don Eulogio prit un ton sacerdotalement confidentiel, — car, mon cher ami, ce portefeuille vous était vraiment destiné par cette Providence, à vous, — à vous seul !

Benigno crut le Fuencarral victime d’un subit accès de folie peut-être dangereuse : il fouilla dans sa poche à revolver.

Mais don Eulogio reprit avec beaucoup de calme, non cependant sans une faible, — très faible — nuance d’embarras :

— Je l’ai acheté, ce portefeuille, au Callao, à l’Agence des « Patagons », avec tout un lot de robes, de bijoux et autres babioles de l’équipage d’une señora passagère décédée, il y a quelque six mois, entre Guayaquil et Payta, — sans héritiers connus. Or, j’avais retiré distraitement de ce portefeuille une enveloppe et un paquet de photographies que j’avais placées dans le premier tiroir venu, sans les regarder. Mais, voici peu de semaines de cela, cherchant un jour une vieille facture ou un compte de frais, j’ai remis la main sur l’enveloppe et quelle n’a pas été ma stupéfaction en la trouvant adressée à don Benigno Reyes de Toboadongo !

J’aurais dû vous l’envoyer immédiatement, mais… j’ai craint… ou plutôt je me suis dit : « Don Benigno ne sera pas sans nous favoriser de l’une de ses bienvenues et flatteuses visites avant qu’il soit longtemps. Et j’ai attendu. Tenez, je vais vous chercher l’enveloppe et le paquet de portraits.

… Développant un papier de soie, Reyes découvrit une dizaine de portraits de Pepa Ramos, telle qu’il l’avait vue à leur dernière et inoubliable rencontre.

Puis, tout angoissé, il ouvrit l’enveloppe qui portait son nom et son adresse. Elle renfermait une autre photographie de Pepa, mais de Pepa à seize ans, de la niña qui lui avait si cruellement ri au nez par un soir rose, là-bas, à Ténériffe !

Il retourna la carte : Rien, pas un mot d’écrit ! Qu’avait-il désiré lire là ?

Et il s’absorba dans la contemplation des traits adorables de