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La commission des mœurs a pour but essentiel d’homologuer la mise en carte d’une femme. Celle-ci est présentée par le sous-chef de la 3e section, et quelquefois dès sa première arrestation. Si elle est mineure, on prend, affirme la préfecture, quelques renseignements sur les intentions de la famille à son égard. On cite aussi des mineures qui, ne voulant point accepter leur mise en carte, ont été conservées en cellule jusqu’à quarante jours, le temps de devenir « raisonnables »[1].

Mise en carte, la femme est l’esclave de la police.

Partout où un agent des mœurs la rencontrera, de jour ou de nuit, il pourra l’arrêter.

Elle n’a plus le droit de sortir, elle n’a plus le droit de se loger. « Votre domicile dit-on aux filles, c’est la Préfecture ». Elle est hors la loi et on le lui répète à satiété avec d’ignobles injures ; l’argent nécessaire à payer ses bourreaux (crédits du dispensaire) est inscrit au budget de la Ville de Paris, en vertu de l’art. 23 de l’arrêté du 12 messidor an viii, constitutif de la Préfecture de Police, et qui parle ainsi du Préfet de Police :

« Il assurera la salubrité de la ville en prenant des mesures pour la prévenir et arrêter les épidémies, les épizooties, les maladies contagieuses… en faisant arrêter, visiter les animaux suspects de mal contagieux et mettre à mort ceux qui en sont atteints. »

Ainsi « les femmes, dit Yves Guyot, ne sont que des animaux dont l’abatage non seulement est admis, mais est rangé parmi les dépenses obligatoires ! »

Saint-Louis et Louis le Débonnaire avaient ordonné l’abatage des femmes ; de cruels supplices furent en vigueur jusqu’à la Révolution ; la Police qui se réclame de toutes les anciennes ordonnances, jusqu’à Charlemagne, a cependant trouvé mieux peut-être de nos jours.

Les gens au cœur tendre mais d’âme bien pensante trouvent que les femmes n’ont que ce qu’elles méritent.

Voici le modeste feuillet distribué aux femmes lors de l’encartage et contenant l’énumération des devoirs de leur état.

On y remarquera, entre autres précautions hygiéniques, que les femmes ne peuvent jamais renouveler l’air de la chambre… qu’on leur refuse d’ailleurs, et qu’elles ne peuvent aller à leurs visites médicales, puisque le dispensaire est situé dans la Cité et que les ponts leur sont interdits.

D’ailleurs, sortiraient-elles « en règle et dans l’heure », on ne les en arrête que mieux.

  1. Mme Avril de Sainte-Croix raconte que tout récemment une fille de 13 ans 1/2, venant de Versailles, arrêtée et reconnue syphilitique, est mise en carte par la commission des mœurs qui s’en justifie par ce joli mot : « Que vouliez-vous que nous en fassions, elle était syphilitique. »

    C’est sans doute aussi la commission des mœurs qui, au mois de décembre 1900, envoya à St-Lazare, puis en correction à Nanterre une fille de 14 ans, arrêtée en plein jour rue St-Martin par des agents des mœurs, qui la virent en conversation avec des filles en cartes, — elle leur vendait des fleurs ; — elle fut reconnue vierge au dispensaire. Ses parents la réclamèrent à la police qui la leur rendit en les priant de ne plus recommencer. Généralement, les parents pauvres, terrorisés par la police, ne réclament pas.