Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/64

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fournie par la femme elle-même, en double exemplaire et être exécutée d’après la façon du service anthropométrique. Sinon : punitions supplémentaires.

L’origine de ce perfectionnement vaut d’être contée : Depuis longtemps on avait remarqué, tant au dépôt qu’à Saint-Lazare, des substitutions de personnes dans les condamnées. Parmi ces chiennes, il s’en trouvait qui, mises en liberté, alors que d’autres — malades ou ayant enfant à la maison — étaient impitoyablement condamnées… les remplaçaient sans plus d’éclat.

MM. les policiers ont décidé de changer ça et que leur juste vindicte aurait plein effet. Ce trait montre qu’ils ne sont pas disposés encore à abandonner leur proie[1].

  1. Avant de continuer la revue des méfaits quotidiens de la police des mœurs, citons quelques traits relatifs à la vie d’une même femme à qui l’esprit d’indépendance, doublé d’ailleurs d’une impulsivité maladive, attira toutes les persécutions ordinaires de cette institution. Nous n’insisterons pas sur les faits particulièrement navrants qui amenèrent Z. sous la griffe de la police des mœurs. Disons seulement qu’à vingt ans, pour échapper à un mariage de raison, elle suivit à Paris un officier qui fut longtemps son ami. Là un sien oncle lui extorqua bientôt, par signature, une somme de 5 000 francs que lui avait léguée une philanthrope bien connue, en guise de prix de bonne conduite payable à sa majorité.

    Lors de sa première arrestation par l’agent B. de la brigade du 8e arrondissement, le maître des filles à la 3e section de la Préfecture jugea bon de l’inscrire, alors qu’on attend généralement la troisième arrestation, et, comme elle refusait, il la fit préalablement demeurer quarante jours en cellule.

    L’agent B. la persécuta ensuite particulièrement, l’envoyant à la correctionnelle par de mensongers rapports, non content des innombrables séjours à Saint-Lazare que lui et ses collègues lui procuraient.

    Voici un fait dont un témoin nous a rendu compte et que déjà nous avons relaté (Humanité Nouvelle, nov. 1900).

    Le 29 août 1900, saisie par les agents des mœurs, place du Carroussel, comme elle descendait de l’omnibus. Z. est prise d’une crise nerveuse. L’agent C. la frappe sans merci et, aidé de ses collègues, la transporte au poste. De nombreux témoins les suivent ; l’un d’eux entre et fait sa déclaration malgré les agents et laisse sa carte à Z., promettant de témoigner en sa faveur.

    À peine est-il parti que cette carte lui est enlevée ; elle se voit conduire immédiatement, afin d’éviter le commissaire de police, au poste du boulevard du Palais où elle passe la nuit sans même une couverture, et passablement malade. Le lendemain elle se voit accusée d’outrage public à la pudeur et de rébellion et le surlendemain condamnée par la 11e Chambre à 20 jours de prison cellulaire qu’elle accomplit à Nanterre.

    Toutefois cette condamnation était très inférieure à ce qu’attendaient les policiers : les réponses sincères et douloureuses, comme chez les simples héros de Tolstoï, de leur victime devant le tribunal l’atténuèrent sans doute. Elle sortit de prison, squelettique, les prunelles effondrées, les cheveux poussés comme ils poussent aux morts, en proie constamment à d’horribles crises. Elle écrivit à M. Lépine une longue lettre.

    Le 16 décembre 1900 nous fûmes témoins du fait suivant, narré le surlendemain par la Petite République. À 10 h. du soir, Z. traversait la place du Carrousel en son beau milieu, au bras d’un monsieur quelconque. Deux agents des mœurs connus sous les pseudonymes balzaciens de Camille et Citrouille la viennent arrêter. Elle et son compagnon parlementent. Mais arrive par derrière l’agent Cousin. — Allons marche, dit-il et d’un grand coup de pied dans les reins il étend Z sur le sol. Puis les agents aidés d’un gardien de la paix se mettent en devoir de transporter leur victime au poste et renvoient son partenaire horrifié. Z criait d’abord, mais elle s’évanouit bientôt. Nous vou-