Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/171

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dans le cœur de son propre fils, ni le fils ne pouvait se refuser à plonger les mains dans le sang de son propre père, si le Tribunal le lui ordonnait : il s’agit, enfin, de rechercher, d’éclaircir, de résoudre et de décider si sept seulement des quinze accusés responsables furent les auteurs de l’assassinat, et les huit autres seulement complices, comme le prétend la sentence à laquelle nous nous référons ; ou bien si, comme nous voulons le prouver, tous furent auteurs pareillement et se trouvent par conséquent dans une situation égale.

Le magistrat échafaude son accusation en entassant les épithètes indignées. Il n’entrera pas, dit-il, dans le détail de ces forfaits, « parce que, ni avec la plume de Victorien Sardou, ni avec la plume de Bouchardy, ni avec le pinceau de Casado ou de Pradilla, on ne pourrait lui donner le véritable et horrible coloris qui lui est propre. »

Le dramaturge romantique Bouchardy est assez oublié en France. Il paraît qu’on a la mémoire plus longue en Espagne où vers 1840, Th. Gautier voyait afficher le Sonneur de Saint-Paul, à Jaen, sous ce titre ronflant : El Campanero de San Pablo por el illustrisimo señior Bouchardy. Cependant don Manuel Azcutia ne manque pas de talent mélodramatique ; écoutez-le décrire la marche des conjurés qu’à découverts l’imagination du magistrat instructeur.

Arrivés à une ornière ou fondrière que formait le ruisseau, ils se portèrent là, s’embusquèrent, guettant leur victime, comme aurait pu se poster ou s’embusquer un parti de chasseurs guettant un sanglier, un daim ou un cerf.

Et une horde de sauvages n’eût pas fait autrement non plus ; une horde d’Aztèques, de Bédouins ou de cannibales à l’affût d’une prise humaine, pour se jeter sur elle, sucer son sang et la dévorer ; Aztèques, Bédouins, sauvages, ceux-là !… chrétiens, fils de chrétiens, nés, enfantés et éduqués dans un pays civilisé, ceux de Jerez de la Frontera !

Il semble que le cœur se brise en morceaux, à se rappeler, considérer et rapporter de telles scènes ; scènes malheureusement espagnoles, si cruelles, si atroces, si inhumaines et si barbares !

Cette éloquence fait lever les épaules. Elle n’en coûta pas moins la vie à sept malheureux qui subirent le garrote. Parmi eux étaient Francisco Corbacho, et Juan Ruiz, secrétaire de la Fédération de Séville. Ce dernier portait l’honorable surnom de Maître d’École, témoignant sans doute du zèle qu’il mettait à instruire ses compagnons. Le ministère public ne put rien trouver contre eux que de vagues déclarations, mais il avait fait connaître leur qualité, et c’était assez.

II fallait pourtant étayer sur quelque chose ces inculpations.