Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/191

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attendrissement sur moi-même. Mais dès le lendemain, ma tristesse avait disparu ; j’étais surtout gênée de la contrainte que je devais m’imposer pour avoir l’air moins joyeux que d’habitude ; mes compagnes semblaient me plaindre : il était convenable que je me fisse une attitude de circonstance. Cela me fut très désagréable, et d’ailleurs ne dura pas. Hélas ! j’étais vraiment une méchante fille ! J’ai souvent, depuis, pensé avec tristesse à ce pauvre petit Pierre que je n’ai pas su pleurer quand il est mort, dont j’ai tout à fait oublié le visage, dont aucun souvenir ne me reste !

On me faisait bien écrire à ma famille de temps en temps ; mais c’était une tâche comme les autres devoirs qu’on m’imposait. Je ne sais pas trop ce que je mettais dans mes lettres, en tout cas rien de mon cœur. Emmeline et Sophie étaient, quelque temps après moi, entrées au couvent, et nous formions un cercle étroit de camaraderie et d’amitié.

Ce fut le 7 mai 1829 que se décida ma destinée. J’avais un peu plus de quinze ans. On me prévint qu’une dame de ma famille me demandait au parloir. J’arrive et je vois une personne d’une cinquantaine d’années, très élégante et que je ne connaissais pas du tout. Elle me raconte qu’elle est la cousine germaine de mon père, qu’elle s’intéresse à moi, qu’elle m’a vue une fois quand j’étais toute petite, qu’elle habitait jusqu’alors un château de Touraine, mais qu’après avoir perdu son mari, toute seule depuis que son fils s’était établi en Algérie, elle s’installe définitivement à Paris. En s’en allant, elle me promet de revenir me voir. Je ne sais pas exactement ce qui se passa dans la suite, ni quelles négociations elle entama avec mes parents et la supérieure. Toujours est-il qu’un mois après elle m’adoptait et me prenait chez elle. J’avais bien un peu de chagrin de quitter mes amies et la vie calme à laquelle j’étais habituée. Mais cela ne pouvait pas toujours durer, et puis, faut-il te l’avouer ? l’élégance de ma cousine et les beaux bijoux dont elle était parée, me séduisaient.

J’ai vécu cinq ans dans le luxe et ce sont les plus belles années de ma vie, sinon les plus nobles, car je me rends compte aujourd’hui du parfait égoïsme sur lequel reposait mon bonheur. Chez mes parents la gêne était de plus en plus grande, l’étude ne marchait pas et les santés laissaient à désirer. Je savais cela vaguement, et je n’y pensais jamais ! On m’avait installé la plus jolie chambre, toute blanche et bleue, avec des cretonnes à fleurs et des meubles d’acajou verni. J’appris à peindre des guirlandes sur de la soie, j’appris à chanter et à pincer de la guitare ; je n’eus jamais un talent original, mais je faisais tout cela gentiment