Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mon moyen de connaître, et l’on modifierait ma circonvolution de Broca, que cela ne me ferait pas connaître autre chose.

Mais nous avons dans notre organisation un mécanisme merveilleux, le langage articulé, qui nous permet de représenter par des mots des choses qui n’existent pas ; nous parlons donc de l’avenir qui n’existe jamais pour celui qui parle.

Autre point de vue : « Les choses futures sont déterminées, elles sont dès lors terminées » dit le docteur Socrate, et il conclut que « nous sommes tous morts depuis longtemps. » L’excellent docteur me fait l’effet d’un agréable fumiste.

Évidemment, dans cent ans, tout ce qui doit se passer d’ici là se sera passé, en vertu des lois naturelles, et aucun de nous ne sera plus à même de recueillir par connaissance indirecte le souvenir de ce qui est aujourd’hui le présent ; n’attachons donc pas trop d’importance à nos petites querelles ou à nos ambitions mesquines ; voilà de bonne philosophie ; mais n’en concluons pas que cette cartouche de fusil a déjà éclaté parce qu’il est vraisemblable qu’elle éclatera le jour où on voudra bien s’en servie.

Les phénomènes sont déterminés et si nous connaissions toutes les conditions d’un phénomène, nous pourrions prévoir ce phénomène en toute sécurité. Cela arrive dans les expériences bien conduites ; «  « Savoir c’est prévoir » a dit Auguste Comte. Encore reste-t-il, même dans les cas les mieux étudiés, la possibilité de l’imprévu. Le meilleur tireur n’est pas sûr de tuer l’oiseau posé sur la branche tant que la chose n’est pas faite ; la terre peut trembler au moment même où il pressera la détente, il y a de l’imprévu, même dans les cas très simples où nous nous sommes entourés de toutes les précautions imaginables. Comment alors se proposer de prévoir ce qui arrivera dans quelque chose d’aussi complexe que la vie d’un homme, problème dans lequel entrent tellement d’éléments divers qu’il ne s’y trouve plus, pour ainsi dire, que de l’imprévu et du hasard ? Quel est celui de nous qui peut affirmer connaître aujourd’hui l’être dont l’influence changera peut-être demain toute sa destinée.

Les choses sont déterminées, cela est sûr ; il n’y a pas d’exception aux lois naturelles et nous sommes tous des pantins soumis à ces lois ; mais il y a trop de ficelles et personne ne peut les tenir toutes à la fois ; c’est pour cela que nul ne peut prévoir l’avenir. Quant à admettre que « ce qui n’est pas encore par rapport à nous doit forcément exister déjà et se manifester quelque part ». cela revient à affirmer que ce monsieur qui tombe de cheval sous