Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/283

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sont les seuls de cette côte à offrir cette ressource, les autres n’arment pas pour les grandes pêches. Nous pourrions prolonger cette énumération et dire le cas des autres ports secondaires et des plages de la côte. Mais les exemples que nous avons donnés suffisent. Comme à Trouville et au Tréport le sort de ces populations maritimes, les plus pauvres, les plus intéressantes, est également compromis. Si la situation est meilleure à Boulogne et à Dieppe, c’est-à-dire dans les ports où la pêche à vapeur se développe, il ne faudrait pas se hâter d’en conclure que cette transformation est entièrement avantageuse aux pêcheurs. Il est d’abord évident que les bateaux à vapeur ne suffisent pas à procurer du travail aux équipages des voiliers dont ils prennent la place. Un chalutier à vapeur qui coûte cinq fois plus cher qu’un chalutier à voiles, qui exige de plus un fond de roulement très élevé, ne compte en moyenne que deux ou trois mécaniciens en plus par équipage ; toutes proportions gardées il en est de même des cordiers. Pour occuper le même nombre d’hommes il faudrait donc quintupler les capitaux engagés dans la pêche à voiles. Les capitaux n’affluent pas dans cette proportion ; on n’oserait, d’ailleurs, soutenir que, dans les conditions actuelles, le marché pourrait absorber, sans faiblir, quatre ou cinq fois plus de produits.

La France n’est pas le seul, pays où cette transformation se produise avec toutes ses conséquences :

L’Angleterre possédait déjà en 1895, 700 vapeurs de pêche ; en 1898, ce nombre dépassait 980.

En Allemagne, ce développement de l’industrie des pêches maritimes est encore plus accusé ; en 1888, il n’existait qu’un seul vapeur et le produit de la vente à la criée du poisson pour les trois ports de Hambourg, Altona et Geestemunde n’atteignait que 1 186 000 francs. En 1895, le nombre des bateaux de pêche dépassait déjà 86 et la valeur des produits pour les trois ports que nous venons de citer atteignait 6 865 000. En 1897 nous trouvons 117 vapeurs montés par 1 185 hommes d’équipages. Depuis ces chiffres n’ont cessé d’augmenter.

En Belgique le seul port d’Ostende compte plus de 30 chalutiers à vapeur.

Comme il y a, en France, 90 000 marins pratiquant la pêche, employant à cet usage 27 000 bateaux, et en outre 50 000 personnes pratiquant la pêche à pied le long des côtes, on juge des désastres qui se produiront lorsque les chalutiers à vapeurs se développeront d’une manière sérieuse.

En résumé, le désastre des marins bretons n’est pas dû à un accident zoologique passager : il est plutôt le résultat d’un état endémique provoqué par la transformation des méthodes de pêche.

Henri Dagan