Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/46

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sacrifierait l’humanité tout entière pour éviter que le plus léger amoindrissement menaçât le métier de curé ! Il ne fait pas du bien parce qu’il aime ses semblables, mais pour grandir devant ses semblables la noblesse du métier de curé !

Fabrice se remit à rire.

— Riez tant que vous voudrez, vous allez m’appeler Monsieur Homais, comme ils font au cercle, et d’abord, je ne refuse pas d’être comparé â ce digne homme. Flaubert l’a rendu ridicule pour pouvoir lui prêter sans avoir l’air de les prendre au sérieux, d’excellentes opinions qu’il n’était peut-être pas fâché d’émettre de cette manière détournée. Il faudrait plus de M. Homais qu’il n’y en a, car beaucoup de gens sont aussi grotesques que lui et ont en outre l’inconvénient de faire le jeu des curés.

— Il est possible que Flaubert ait eu cette arrière-pensée, mais j’en doute ; en France surtout il est dangereux de rendre ridicule un personnage que l’on charge d’énoncer des vérités ; une vérité sortant d’une bouche ridicule est bien près de paraître ridicule elle-même. Voyez d’ailleurs l’usage qu’on fait couramment du pharmacien de Flaubert ; quand vous discutez avec un prêtre, si vous vous laissez aller à un peu de polémique, il vous clôt la bouche en vous appelant simplement : « Monsieur Homais ! » et le seul fait d’avoir pu avec un semblant de raison vous décerner cette épithète grosse de sous-entendus, équivaut pour lui à une victoire. Combien de fois cela ne m’est-il pas arrivé ? Vous me dites que vos amis du cercle vous appellent ainsi ? Cela prouve que vous n’avez pas su les convaincre et qu’ils n’attribuent pas à vos opinions une origine purement scientifique et désintéressée.

— Ils ont raison, répondit le médecin ; si je déteste les curés ce n’est pas pour des raisons scientifiques, mais parce que j’ai vu qu’il font du mal. Je n’ai pas, moi, petit praticien de campagne, la haute sérénité dont vous, messieurs les savants, êtes à même de ne jamais vous départir ; vous vivez dans l’atmosphère calme des laboratoires et vous cherchez des vérités éternelles ; vous n’êtes pas pressés ; vous avez tout l’avenir devant vous : nous, soldats du moment, nous luttons à chaque instant contre des difficultés qui surgissent sans cesse et nous nous contentons de vérités provisoires ; nous essayons de nous défendre et de défendre nos semblables moins bien armés que nous contre ceux qui les exploitent sous le prétexte de leur faire du bien. Vous avez le loisir d’être un doux philosophe, vous discutez avec des gens d’église des points de logique ; moi je suis anticlérical.

» Et si je le suis, ce n’est pas la faute de mon éducation qui a