dévoués, et je crois qu’il est toujours dangereux de conclure du particulier au général ainsi que vous venez de le faire. Votre opinion est fort respectable parce que vous êtes vous-même digne du respect de tous, mais croyez-vous qu’un bon prêtre ne serait pas autorisé à parler de vous comme vous venez de parler de tous les prêtres en bloc ? S’il croit fermement, ce brave homme, que la vie terrestre n’est qu’une préparation à la vie éternelle…
Le docteur regarda son compagnon avec stupeur.
— Vous ouvrez de grands yeux, reprit Fabrice, vous ne vous attendiez pas à me voir parler ainsi de l’immortalité de l’âme ; je vous avoue que je n’y suis pas habitué non plus, continua-t-il en souriant, et je serais un bien mauvais avocat si je devais défendre la cause du clergé ; aussi n’est-ce pas ce que je veux faire ; j’ai seulement le désir de vous montrer que, si je crois, comme vous, qu’il est bon de lutter contre son influence envahissante, j’ai pour cela des raisons très différentes des vôtres.
— Et meilleures ? interrogea le médecin.
— Et meilleures, continua M. Tacaud, parce qu’elles sont impersonnelles, scientifiques si vous aimez mieux. Vos opinions, vous disais-je, sont respectables parce que vous êtes vous-même digne de respect, mais ne perdront-elles pas tout leur prestige passant par la bouche d’un homme quelconque, d’un de ces énergumènes qui hurlent dans les réunions électorales, par exemple. Croyez-vous qu’elles convaincront des gens qui ne sont pas déjà tout acquis à votre cause ? Et dans le même temps, dans une autre réunion de gens d’opinion différente, un autre énergumène de même valeur moyenne, mais acquis à la cause contraire, soutiendra avec le même succès une théorie opposée. Il ne suffit pas qu’une opinion soit respectable à cause de la personne qui l’émet ; une vérité reste dans la bouche de Panurge ce qu’elle eût été dans celle de Gargantua.
— Mais ne sont-ce pas des vérités ? dit le docteur avec vivacité ; n’est-il pas indiscutable, par exemple, que le terrible sort réservé aux malheureuses filles-mères est un résultat des doctrines inhumaines répandues par le clergé ?
— Il y a beaucoup de férocité chez les hommes, répondit Fabrice, et il est dangereux de leur apprendre à être sans pitié, mais là n’est pas la question. Il s’agit simplement de savoir si l’on ne peut pas soutenir, avec autant de vraisemblance, une thèse opposée à celle que vous défendez. Un bon prêtre, bien convaincu, considère la vie éternelle comme la seule chose à laquelle il faille songer. Supposez que vous soyez appelé auprès d’un homme mortellement atteint et que, connaissant la gravité du cas, vous