Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/586

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Lamarck. J’espère montrer que l’on peut raconter l’adaptation au milieu dans tous les détails, sans aucun raisonnement téléologique, en se servant du langage synthétique dont notre chien philosophe nous donnait tout à l’heure l’exemple en disant : « les bateaux partent avec le flot et reviennent pleins de poissons ».

À ceux qui douteraient de la stérilité des interprétations par les causes finales, je conseillerai seulement de lire un passage de Bernardin de Saint-Pierre et de le comparer à un passage de Darwin ; le premier, observateur excellent, a fait beaucoup de remarques aussi précises que celles du second, mais il a admiré dans tout l’ordre merveilleux de la Providence et n’a tiré aucun profit d’observations qui ont fourni une ample moisson d’idées au naturaliste anglais.

Voilà déjà bien des erreurs inhérentes pour la plupart au langage biologique actuel. Il y en a encore d’autres à signaler, indépendantes du langage celles-là, et tenant à des comparaisons illégitimes. Expliquer c’est comparer, mais toute comparaison n’est pas bonne.

Nos ancêtres ignorants ont comparé le mouvement en apparence spontané des êtres vivants au mouvement des feuilles agitées par un vent invisible ; d’où l’expression anima, âme, venant de ἄνεμος vent. Cette comparaison pouvait se soutenir à la rigueur tant que l’on ignorait la nature du vent ; lorsqu’on connut sa consistance matérielle on aurait dû abandonner la comparaison ; on la garda et l’on imagina pour remplacer le vent des principes immatériels causes du mouvement, c’est-à-dire que l’on compara la cause du mouvement des êtres vivants à quelque chose qui n’était comparable à rien. C’est l’origine de la théorie animiste qui a dominé et domine encore aujourd’hui presque toute la philosophie humaine.

Autre exemple de comparaison fallacieuse. L’homme est un mécanisme et on l’a comparé à des mécanismes connus et plus simples, à des machines à vapeur par exemple ; ceci était admissible pourvu qu’on n’allât pas trop loin dans la comparaison et qu’on ne considérât pas comme s’appliquant à l’homme toutes les propriétés des machines avec lesquelles on l’avait comparé. Malheureusement, on n’y a pas pris garde ; les machines s’usent en fonctionnant, l’enfant au contraire se construit, en fonctionnant et devient un homme ; mais on s’est laissé entraîner par la comparaison et on a admis comme évident, que le fonction-