Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/60

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l’anticléricalisme dont vous vous réclamez, vous y êtes arrivé en dehors de toute considération scientifique et uniquement à la suite de quelques observations sociales ; le despotisme du clergé vous aurait révolté exactement de la même manière, si le dogme avait été l’expression de la vérité ; plusieurs spiritualistes sont cléricaux, et le spiritualisme n’est pas contraire au dogme.

» Il se trouve que vous pouvez utiliser dans votre lutte les conquêtes de la science ; c’est grâce à cela que vous triompherez dans votre entreprise car rien n’est plus mobile que les passions populaires et si vous ne comptez que sur elles vous aurez bien des déboires. Une fois au contraire que tout le monde sera assez instruit pour comprendre, personne ne se fera plus prêtre ; il n’y aura plus d’anticléricaux parce qu’il n’y aura plus de clergé.

— En attendant, répéta avec satisfaction le médecin, c’est grâce au triomphe momentané des anticléricaux que nous pouvons espérer ne plus voir bientôt enseigner aux tout jeunes enfants de quoi en faire plus tard des recrues du parti clérical. Et j’espère bien que cette mesure sanitaire suffira à affermir notre bâtisse éphémère quoi qu’elle soit construite, en dehors de toute donnée scientifique, par un peuple fatigué de souffrir. J’ai été douloureusement surpris en voyant des gens, considérés jusque-là comme de vrais démocrates, se déclarer partisans de ce que les oppresseurs de toute liberté appellent la liberté de l’enseignement.

— Magie des mots ! s’écria M. Tacaud. Comment voulez-vous que des gens qui, toute leur vie, ont lutté pour obtenir plus de liberté, ne se laissent pas impressionner quand on leur dit qu’ils deviennent liberticides ? Ils n’ont pas remarqué qu’on leur demandait de respecter la liberté des croyants aux dépens de celle des libres penseurs, et surtout, ce qui est plus grave, aux dépens de celle des enfants, car un enfant à qui l’on a enseigné le catéchisme à un âge où il ne peut encore rien discerner, a son cerveau sophistiqué pour toujours. Et c’est ce désir d’éduquer les enfants qui me prouve (indépendamment de toute considération d’ordre social ou politique) que les prêtres ne sont plus aussi sûrs de l’évidence de leur doctrine. Les gens de science demandent qu’on ne fasse pas commencer trop tôt les études scientifiques, de peur que, l’esprit de l’enfant n’étant pas encore assez ouvert, il n’apprenne par cœur au lieu de comprendre. Les gens d’église, au contraire, veulent qu’on leur livre le gamin de très bonne heure, de manière à remplir sa mémoire de questions métaphysiques et de réponses à ces questions, réponses qui ne sont d’ailleurs qu’un pur verbiage. Que voulez-vous que fasse un enfant à qui on apprend à huit ou neuf ans que « Dieu est un pur esprit » ? Il enre-