Page:La Revue blanche, t8, 1895.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vous garder rancune de l’injustifiable atteinte que vous portez à la réalité sacrée de mon affection.




À Mme  Whitman

18 octobre 1848.

Vous ne m’aimez pas, ou vous auriez été en trop complète sympathie avec la sensitivité de ma nature pour m’avoir blessé comme vous avez fait par ce terrible passage de votre lettre :

« Combien souvent j’ai entendu dire de vous : Il a une grande intelligence, mais nuls principes, nul sens moral. »

Est-il possible que de telles expressions m’aient été répétées – à moi – par une que j’aimais – ah ! que j’aime !..

Par le Dieu qui règne dans les Cieux, je vous jure que mon âme est incapable de forfaiture – que, à l’exception d’occasionnels excès que je déplore amèrement, mais auxquels je fus provoqué par d’intolérables peines, et que tant d’autres commettent tous les jours sans attirer l’attention, – je ne trouve dans ma vie aucun acte qui puisse faire rougir ma joue – ou la vôtre. Si j’ai erré à quelque égard, ce fut par un sens donquichottesque, comme dirait le monde, de l’honneur – ou de la chevalerie. La satisfaction de ce sens a été la vraie volupté de ma vie. C’est pour cette espèce de volupté que', dans ma première jeunesse, j’ai repoussé délibérément une grande fortune plutôt que d’endurer une injustice vulgaire. Ah ! combien est profond mon amour pour vous, puisqu’il me force à tous ces égotismes pour lesquels vous allez inévitablement me mépriser.

Pendant près de trois ans j’ai été malade, pauvre, vivant hors du monde ; et de la sorte, comme je le vois maintenant, avec peine, j’ai laissé à mes ennemis toute facilité de me vilipender dans le monde, à mon insu, et ainsi avec impunité. Quoique beaucoup de choses puissent (et, je le vois maintenant, doivent) avoir été dites, à mon discrédit, pendant ma retraite, les quelques personnes qui, me connaissant bien, me sont fervemment restées fidèles, ne laissèrent rien venir à mes oreilles – sauf dans un cas d’un tel caractère que je dus m’adresser aux tribunaux pour réparation.

Je répondis pleinement à l’accusation dans un journal – puis poursuivis le Mirror (qui avait lancé la calomnie) et obtins un jugement qui m’accordait, à titre de dommages et intérêts, une somme assez forte pour que ce journal ait dû, momentanément, interrompre sa publication. Et vous me demandez pourquoi les hommes me jugent défavorablement