Page:La Revue blanche, t8, 1895.djvu/330

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— Quel propos d’éclusier ! dit Tristan. Inférieurs, Eschyle, Shakes…

— Vous ne vous donnez pas de coups de pieds nickelés, dit Éloi. Avouez-le donc : Vous lâchez le livre d’art, l’œuvre de patience, l’effort en chambre, le lecteur anonyme et discret, la gloire à terme. Il vous faut le théâtre, son tremplin et ses machines, la pièce écrite comme on parle, le style au galop naturel, les répétitions où tout s’arrange peu à peu, les acteurs qui font valoir, la lumière avantageuse, le décor de chic, et les honteux apartés, et les conventions nationales, et ce monsieur qu’on attendait et que voilà, et les dix mille francs tombés du lustre, et le souffleur obséquieux, et le public immédiat, et la presse matinale, et Lemaître et Sarcey dominicaux. Hé ! hé ! ils savent le théâtre, Lemaître, puisqu’on le joue et, Sarcey, puisqu’il y va tous les soirs. D’ailleurs, je me moque de fonder une école. Ce que je veux, c’est agir sur la masse. Plus de brumes, assez de dilettantisme, rien que du génie familier, des choses qui portent. Et, comme elle guidait nos pères, la vieille, la jeune, la franche, l’aimable et gauloise Routine me mènera par la main.

— Devisant de cette sorte, dit Tristan énorme, délicat, point fâché, Candide et Martin arrivèrent à Bordeaux. Mon cher Éloi, vous aussi, vous avez le sens du théâtre. Ne répliquez pas, vous êtes doué admirablement.

— Je me flatte, dit Éloi, de réussir le dialogue ; il ne me manque que les idées.

— J’ai la spécialité des générales et des particulières aux pique-niques à deux, dit Tristan.

— J’en suis. Prenons une date, dit Éloi.

— C’est aujourd’hui lundi, répond Tristan. Mardi, je déjeune en ville ; mercredi, je dors ; jeudi, Buffalo ; vendredi, j’enterre un de mes amis ; samedi, je me rendors, mais je rêve de notre affaire, et dimanche prochain, sans faute, je viendrai vous essayer ça.