Page:La Revue du mois, année 6, numéros 61-66, 1911.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nouvel engin pût être basée sur des données numériques précises et que l’on sût calculer à l’avance sur un projet de machine, combien de travail elle pourrait fournir et combien de chaleur il faudrait lui donner. En 1821, le gouvernement français avait déjà confié à Dulong et Arago la mission d’effectuer les mesures nécessaires, mais ceux-ci avaient à peine commencé les travaux préliminaires et repris l’étude de la compressibilité des gaz en vue de construire un manomètre, que des difficultés administratives vinrent tout arrêter. Vingt ans plus tard, le besoin devenant vraiment de toute urgence, le ministère des Travaux publics reprit le même projet et en confia l’exécution à Regnault, particulièrement désigné par ses travaux récents en calorimétrie.

Devant cette tâche précise qui donnait un but à son activité, un lien définitif à ses pensées, Regnault se mit à l’œuvre avec l’ardeur de ses trente ans, avec une volonté constamment tendue pendant une période de trente autres années, avec un courage qui ne faiblit ni devant les fatigues ni devant les dangers, et ceux-ci étaient grands puisqu’après plusieurs accidents de moindre importance, une chute terrible, faite en 1856, d’une grande hauteur, à l’occasion d’une expérience, le laissa douze jours sans connaissance, produisant un choc cérébral tel qu’il lui fallut plusieurs années pour se remettre et qu’il ne put jamais recouvrer complètement la vigueur de son esprit et la rapidité de ses décisions. Une lettre de l’astronome Herschel, datée de 1862, montre combien, six ans après l’accident, les amis de Regnault s’inquiétaient encore à ce sujet. Il s’était redressé cependant et marchait, plus péniblement, vers l’achèvement complet de son œuvre, lorsque les malheurs de la guerre, particulièrement cruels pour lui, vinrent l’abattre de manière définitive.

Les quinze premières années de son passage au Collège, de 1840 à 1856, furent les plus fécondes, et aussi les plus heureuses de sa vie.

Arrivé à trente ans à une situation scientifique qui est d’ordinaire le couronnement d’une longue carrière, délivré par elle de tout souci matériel et d’autant plus sensible à cette circonstance que ses premières années avaient été plus pénibles, il avait auprès de lui une femme délicate et artiste, des parentes, toutes soucieuses de créer l’atmosphère propice à son labeur incessant, puis bientôt quatre enfants pour qui leurs dons naturels