Page:La Revue hebdomadaire, Septembre 1921.djvu/36

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voix de mon compagnon, qui chantait d’un ton langoureux :

Einen Kuss von rosiger Lippe,
Und ich fürchte nicht Sturm und nicht Klippe !

Le malheureux s’accompagnait d’une guitare, ce qui n’est pas encore ridicule à Vienne, et se donnait des poses de ménestrel ; je le pris à part et lui confiai ma situation.

— Mais tu ne sais pas, me dit-il, que c’est aujourd’hui la Saint-Sylvestre…

— Oh ! c’est juste ! m’écriai-je en apercevant sur la cheminée de Rosa une magnifique garniture de vases remplis de fleurs. Alors, je n’ai plus qu’à me percer le cœur ou à m’en aller faire un tour vers l’île Lobau, là où se trouve la plus forte branche du Danube…

— Attends encore, dit-il en me saisissant le bras.

Nous sortîmes. Il me dit :

— J’ai sauvé ceci des mains de Dalilah… Tiens, voilà deux écus d’Autriche ; ménage-les bien et tâche de les garder intacts jusqu’à demain, car c’est le grand jour.

Je traversai les glacis couverts de neige et je rentrai à Leopoldstadt où je demeurais chez des blanchisseuses. J’y trouvai une lettre qui me rappelait que je devais participer à une brillante représentation où assisterait une partie de la cour et de la diplomatie. Il s’agissait de jouer des charades. Je pris mon rôle avec humeur car je ne l’avais guère étudié. La Kathi vint me voir, souriante et parée, bionda grassota, comme toujours, et me dit des choses charmantes dans son patois mélangé de morave et de vénitien. Je ne sais trop quelle fleur elle portait à son corsage ; et je voulais l’obtenir de son amitié. Elle me dit d’un ton que je ne lui avais pas connu encore : « Jamais, pour moins de zehn Gulden Convention-mink » (de dix florins en monnaie de convention).

Je fis semblant de ne pas comprendre. Elle s’en alla