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RÉFLEXIONS OU SENTENCES

dans leurs postes. Il s’en trouve[1] à qui l’habitude des moindres périls affermit le courage, et les prépare à s’exposer à de plus grands. Il y en a qui sont braves à coups d’épée, et qui craignent les coups de mousquet ; d’autres sont assurés aux coups de mousquet, et appréhendent de se battre à coups d’épée. Tous ces courages, de différentes espèces, conviennent en ce que[2], la nuit augmentant[3] la crainte et cachant les bonnes et les mauvaises actions, elle donne la liberté de se ménager[4]. Il y a encore un autre ménagement plus général ; car ou ne voit point d’homme qui fasse tout ce qu’il seroit capable de faire dans une occasion, s’il étoit assuré d’en revenir[5] : de sorte qu’il est visible que la crainte de la mort ôte quelque chose de la valeur[6]. (éd. 1*.)

  1. Var. : pour n’oser demeurer dans leurs postes ; enfin il s’en trouve. (1665.)
  2. Conviennent, c’est-à-dire, se rencontrent en ce point, que…
  3. Var. : Il y en a encore qui sont braves à coups d’épée, qui ne peuvent souffrir les coups de mousquet ; et d’autres y sont assurés, qui craignent de se battre à coups d’épée. Outre cela, il y a un rapport général que ton remarque entre tous les courages de différentes espèces, dont nous venons de parler, qui est que, la nuit augmentant… (1665.)
  4. Var. : … et les mauvaises actions, leur donne la liberté de se ménager. (1665.) — J. Esprit (tome I, p. 522) : « Il est rare de trouver des hommes vaillants qui attaquent ou repoussent les ennemis, la nuit, avec autant de bravoure qu’ils feroient s’ils combattoient en plein jour, aux yeux de leur général. » — Tacite (Annales, livre I, chapitre li) : Nox aliis in audaciam, aliis ad formidinem opportuna. « La nuit aide au courage des uns, à la lâcheté des autres. » — Voyez la maxime suivante.
  5. Vauvenargues (maxime 849, Œuvres, p. 484) : « Le terme du courage est l’intrépidité à la vue d’une mort sûre. »
  6. Var. : Il y a encore un autre ménagement plus général qui, à parler absolument, s’étend sur toute sorte d’hommes : c’est qu’il n’y en a point qui fassent tout ce qu’ils seroient capables de faire dans une action, s’ils avoient une certitude d’en revenir : de sorte qu’il est visible que la crainte de la mort ôte quelque chose à leur valeur, et diminue son effet. (1665.) — Voyez les maximes 1, 213, 220, 221 et 370.