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SUR LA ROCHEFOUCAULD

dévouement que de calcul ; car, par intérêt pour deux femmes, et deux femmes alors sans crédit, il s’engage, les yeux fermés, contre le terrible cardinal. Au rebours de tant de personnages de son temps, plus habiles ou moins chevaleresques, il entrait dans la politique en homme d’imagination, par ce que l’on pourrait appeler l’héroïsme de la galanterie. Il confesse en effet dans ses Mémoires qu’entre la Reine et Mlle  de Hautefort, il fut « ébloui, » comme « un homme qui n’avoit presque jamais rien vu, » et fut entraîné dans un chemin tout opposé à sa fortune. Il ajoute que sa « longue suite de disgrâces » fut la conséquence de ce premier pas imprudent[1].

Elle fut aussi la conséquence de ce je ne sais quoi[2] qui devait dominer toute sa conduite politique : c’était quelque chose d’irrésolu et d’incohérent, qu’on peut définir en disant que la Rochefoucauld, au moment d’agir, était toujours pris d’une arrière-pensée raisonneuse et critique ; il y avait en lui deux hommes qui se contredisaient et s’entravaient mutuellement, l’homme du premier mouvement et l’homme de la réflexion. L’élan pris, il s’arrêtait souvent à rai-chemin, impatient de se dérober, à condition toutefois que l’honneur fût sauf. Les esprits vraiment nés pour la politique, pour ses luttes, pour ses grandes intrigues, comme Richelieu et comme Retz, ne connaissent point ces brusques retours ni ces désaccords intérieurs : ils savent prévoir à temps, se décider sans regrets, au besoin même sans scrupules, et s’ils raisonnent des événements, l’action, après tout, chez eux n’y perd rien.

Le prince de Marcillac n’en semble pas moins tout d’abord mener de front, selon son vœu, l’amour et la guerre. Dans les années 1635 et 1636 on le voit prendre part, sous les maréchaux de Châtillon et de Brezé, à deux campagnes, qui échouèrent par la mésintelligence des capitaines français et de Guillaume de Nassau, et s’y conduire vaillamment. Il combattit comme volontaire, avec les ducs de Mercœur, de Beaufort et autres, à la journée d’Avein (20 mai 1635)[3]. Mais il

  1. Mémoires, p. 22.
  2. Voyez, dans notre tome I, la première ligne du portrait de la Rochefoucauld par Retz (p. 13).
  3. Voyez les Mémoires, p. 22 et 23, l’Extraordinaire de la Gazette