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RÉFLEXIONS DIVERSES

Espagnols, il usurpa l’autorité royale ; il disposa souverainement de la vie, de la liberté, et des biens[1] de tout ce qui lui fut suspect ; il se rendit maître des douanes ; il dépouilla les partisans[2] de tout leur argent et de leurs meubles, et fit brûler publiquement toutes ces richesses immenses dans le milieu de la ville, sans qu’un seul de cette foule confuse de révoltés voulût profiter d’un bien qu’on croyoit mal acquis. Ce prodige ne dura que quinze jours, et finit par un autre prodige : ce même Masaniel, qui achevoit de si grandes choses avec tant de bonheur, de gloire, et de conduite, perdit subitement[3] l’esprit, et mourut frénétique, en vingt-quatre heures[4].

La reine de Suède[5], en paix dans ses État[6] et avec ses voisins, aimée de ses sujets, respectée des étrangers, jeune et sans dévotion, a quitté volontairement son

  1. « Et du bien. » (Édition de M. de Barthélemy.)
  2. On sait que, dans l’ancien régime financier, on appelait partisans ou traitants ceux qui, moyennant rétribution, traitaient du recouvrement de quelque partie des impôts.
  3. M. de Barthélémy omet subitement.
  4. Mas’ Aniello (abréviation de Tomaso Aniello), qui vendait, non des herbes, mais des poissons et des fruits, ne mourut pas seulement de la frénésie ; à la faveur d’un mouvement populaire, des assassins, aux gages du duc d’Arcos, que Mas’ Aniello avait dépossédé de la vice-royauté, aidèrent à sa mort (1647) ; il était âgé de vingt-cinq ans.
  5. Christine, née en 1626. Fille unique du grand Gustave-Adolphe, elle lui succéda en 1632, se mit à la tête des affaires en 1644, les gouverna bientôt assez mal, abdiqua en 1645, parcourut pendant quelques années l’Europe, vint deux fois en France, où elle fit assassiner, au château de Fontainebleau, l’Italien Monaldeschi, son grand écuyer et son amant (1657) ; puis, ayant précédemment abjuré le protestantisme, elle alla faire pénitence à Rome, où elle mourut, en 1689. Cette femme étrange avait le goût des lettres, des sciences et des arts ; elle a laissé quelques écrits, et l’on sait qu’elle avait appelé en Suède plusieurs hommes illustres, entre autres Descartes.
  6. « Dans son État. » (Édition de M. de Barthélemy.)