Page:La Sainte Bible, trad Crampon, édition 1923.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du pays, fit une retraite humiliante. 3Comme il était dans la région d’Ecbatane, il apprit ce qui était arrivé à Nicanor et à l’armée de Timothée. 4Transporté de fureur, il pensait à venger sur les Juifs l’injure de ceux qui l’avaient forcé de fuir ; il commanda donc au conducteur de pousser son char sans s’arrêter, pour hâter le voyage. La vengeance du ciel le poursuivait, car il avait dit dans son orgueil : “Aussitôt arrivé à Jérusalem, je ferais de cette ville le tombeau des Juifs.” 5Mais le Seigneur, Dieu d’Israël, qui voit toutes choses, le frappa d’une plaie incurable et horrible à voir[1]. À peine eut-il proféré cette parole, qu’il fut saisi par une extrême douleur d’entrailles, avec de cruelles tortures à l’intérieur. 6C’était justice, puisqu’il avait déchiré les entrailles des autres par des tourments nombreux et inouïs. Mais il ne rabattait rien de son arrogance ; 7toujours rempli d’orgueil, il exhalait contre les Juifs le feu de sa colère et ordonnait de hâter la marche, quand soudain il tomba du char qui roulait avec fracas, et sa chute fut si violente que tous les membres de son corps en furent meurtris. 8Lui qui tout à l’heure croyait commander aux flots de la mer, dans sa jactance surhumaine, lui qui s’imaginait peser dans la balance la hauteur des montagnes, ayant été précipité par terre, il était porté dans une litière, rendant manifeste aux yeux de tous la puissance de Dieu. 9Du corps de l’impie sortaient des essaims de vers ; lui vivant, ses chairs se détachaient par lambeaux avec d’atroces douleurs, et l’odeur de pourriture qui s’en exhalait incommodait toute l’armée ; 10et celui qui naguère semblait toucher aux astres du ciel, personne maintenant ne pouvait le porter, à cause de cette intolérable puanteur. 11Alors, profondément blessé, il commença à revenir de ce grand orgueil et à se connaître lui-même, sous le fouet divin qui redoublait à chaque moment ses douleurs ; 12et comme lui-même ne pouvait supporter son infection, il dit : “Il est juste de se soumettre à Dieu et, simple mortel, ne pas s’égaler insolemment à la divinité.” 13Mais ce scélérat priait le Souverain Maître qui ne devait plus avoir pitié de lui, 14promettant de déclarer libre la ville sainte, vers laquelle il se hâtait pour l’égaler au sol et en faire le tombeau de ses habitants ; 15de rendre semblables aux Athéniens tous les Juifs, qu’il ne jugeait pas dignes de la sépulture, les destinant, eux et leurs enfants, à servir de pâture aux oiseaux de proie et aux bêtes féroces ; 16d’orner des plus belles offrandes le temple saint qu’il avait jadis dépouillé, de lui rendre et au delà tous ses ustensiles sacrés et de subvenir de ses propres revenus aux frais des sacrifices, 17et en outre de devenir lui-même Juif[2], et de parcourir tous les lieux habités en y proclamant la puissance de Dieu.

18Mais ses souffrances ne se calmèrent pas, car le juste jugement de Dieu était venu sur lui ; c’est alors que, voyant son état désespéré, il écrivit aux Juifs la lettre ci-dessous transcrite, ayant la forme d’une supplication, et conçue en ces termes :

19“Aux Juifs, ses excellents citoyens, le roi et général Antiochus : Salut, santé et bonheur parfaits ! 20Si vous vous portez bien, ainsi que vos enfants, si vos affaires vont selon vos désirs, j’en rends à Dieu les plus grandes gloires, mettant mon espoir dans le ciel. 21Pour moi, je suis étendu sur un lit, sans force, me rappelant avec amour les marques d’honneur et de bienveillance que j’ai reçues de vous.

“A mon retour des contrées de la Perse, étant tombé dans une maladie cruelle, j’ai jugé nécessaire de m’occuper du bien-être de tous. 22Ce n’est pas que je désespère de moi ; j’ai au contraire une grande confiance de guérir de cette maladie. 23Mais considérant que mon père, quand il porta ses armes dans les hautes provinces, désigna son futur successeur, 24afin que, en cas d’un malheur inattendu ou de bruits fâcheux, ceux du royaume, sachant à qui les affaires étaient remises, ne fussent pas troublés ; 25songeant en outre que les monarques limitrophes et des princes voisins de mes États épient les circonstances et attendent ce qui arrivera, j’ai désigné pour roi mon fils Antiochus que, plus d’une fois, lorsque j’ai parcouru mes provinces supérieures, j’ai confié à la plupart d’entre vous en vous le recommandant, et je lui ai écrit la lettre transcrite ci-dessous[3]. 26Je vous demande donc et vous prie de vous souvenir de mes bienfaits, tant généraux que particuliers, et de conserver chacun la bienveillance que vous avez pour moi et pour mon fils. 27Car je suis persuadé que, plein de douceur et d’humanité,

  1. 5. Horrible à voir, litt. invisible, comme traduit la Vulg., ce qui peut signifier une maladie intérieure (tristesse, mélancolie mortelle, I Mach. vi, 8), ou encore une maladie affreuse, litt. non visible, dont il n’est pas possible de supporter la vue.
  2. 17. Devenir Juif : c’est-à-dire prosélyte.
  3. 25. La lettre transcrite ci-dessous : cette lettre, qui se trouvait probablement dans l’ouvrage de Jason (ii, 24), l’abréviateur ne nous l’a pas donnée.