Page:La Société nouvelle, année 10, tome 2, 1894.djvu/519

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— « Ces Agnostisants, disent-ils, nous suppriment en prétextant nous ignorer. Pour ne pas avoir à nous répondre, ils s’encotonnent les oreilles. Fort respectueusement, et sous couleur que le royaume de Dieu n’est pas de ce monde, ils nous mettent hors le monde, hors l’intelligence, hors l’humanité. Ils nous enferment dans un cabanon de fous, sous prétexte que nous ne saurions mieux être logés pour la contemplation des secrets insondables !

« Qui donc imagina le mythe de Sémélé, sinon des philosophes du terre-à-terre, dont le génie se refusait aux hautes spéculations, à l’essor de l’empyrée ! Mais, contrairement à ce que disent Aristote, les aristotéliciens et autres sectateurs du médiocre bon sens, les sciences ne valent que par la quantité de mystère qu’elles détiennent. Toutes nos connaissances, tantes et quantes, n’ont d’autre vertu que celle de nous faire soupçonner l’incogniscible vérité. L’énigme proposée à l’homme est insoluble, certes, — à qui le dites-vous ? — mais il importe que nous nous y débattions, pour en deviner les profondeurs. Sur les marches du sanctuaire veille le Sphynx ; à la porte il se tient accroupi ; nul n’entrera dans le temple d’éternité qui n’aura senti ses griffes acérées lui déchirer les chairs et fouiller jusqu’au cœur ! »

Ceux qui parlent ainsi sont les héroïques, les ardents.

Sans aller si loin dans leur foi, la majeure partie des docteurs chrétiens — pour le moment nous n’en avons pas d’autres à consulter — permettent l’examen de leurs mystères, même y initient volontiers, mais après instruction reçue et épreuves traversées. Le mystère, disent-ils, le mystère parce que mystère, fit l’objet d’une révélation.

Partant de cette révélation, il n’est prédicateur qui ne démontre à ses ouailles le « mystère de la rédemption », il n’est desservant qui n’explique à ses jeunes catéchumènes des deux sexes ce qu’il appelle « le plan de Dieu ». En même temps il fait, autant que possible, appel à l’intelligence et à la compréhension ; il explique, donc il discute. Il raconte que le mystère fut, de propos délibéré, institué pour tenter l’homme auquel il suffit de dire : « Voilà un mystère » pour qu’il s’acharne à le deviner, pour qu’il le tourne et le retourne, pour que son regard en fouille le dehors, afin d’en deviner, si possible, l’intérieur. — Que dit la légende biblique ? — Après avoir tiré le monde du néant, le Créateur mit l’homme en un jardin de délices. — Jouissez, dit-il au père et à la mère du genre humain, jouissez de tout ce qui vous entoure. Mais, par exception unique, ne prétendez pas goûter à certain fruit qui donne la connaissance du bien et du mal. Jouissez, mais dans l’ignorance ; jouissez, mais ne prétendez pas savoir le pourquoi ni le comment ! » Et comme il suffit de donner un ordre