Page:La Société nouvelle, année 10, tome 2, 1894.djvu/520

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour provoquer la désobéissance, Adam et Ève de vouloir tout aussitôt la sensation nouvelle : ils l’eurent, mais pour être expulsés du Paradis… Croyez-vous, dit-on, que cette désobéissance n’eut pas été prévue par l’omniscient créateur ? — « Oh, bienheureuse coulpe ! » s’écrie un Père de l’Église. Péché fatal et fécond qui valut à l’homme la conscience et la liberté !

Qu’avec plaisir on entendrait ce langage, si l’on ne se rappelait que « l’heureuse faute », ainsi nommée, devait être plus tard qualifiée de péché originel, et faire condamner aux supplices de l’éternel enfer la majeure partie de l’espèce humaine !


— Il suffit. La cause de la libre recherche est entendue, et ce n’était pas vis-à-vis de vous qu’il y avait obligation à la justifier. D’ailleurs, nous n’hésitons pas à reconnaître que l’homme se plaît à se poser des questions qui dépassent son savoir et même son intelligence. Cette impossibilité fait sa misère vis-à-vis des autres animaux, mais aussi son privilège ; on a même prétendu qu’elle fait sa grandeur, si grandeur il y a, et si le mot de grandeur n’est pas ridicule, alors qu’on parle d’infini. Quoi qu’il en soit, il n’est cœur vaillant qui n’approuve les paroles du poète : Malo periculosam libertatem ! Il me plaît que la liberté ait ses périls !


II

En matière religieuse, un soupçon de légèreté nous disqualifierait, une ombre d’outrecuidance nous mettrait dans le tort. Ne l’oublions pas, vous et moi ne sommes que des individus. Un quelconque de ces individus s’arroge le droit de citer les religions à comparoir devant le tribunal de sa conscience ! Un particulier, lui tout seul, à sa guise et sans appel, jugera d’une croyance professée par quelques millions d’hommes ! Sur une doctrine qui a persisté pendant des siècles nous porterons notre arrêt en quelques heures, peut-être en quelques minutes, oubliant qu’elle fit l’objet des longues, longues méditations d’esprits sincères, de profonds penseurs, même de plusieurs génies !… Quand nous y aurons bien réfléchi, avec quelle sincérité, avec quelle modestie — non, quelle humilité — prononcerons-nous nos jugements !

Sans doute nous aborderons cette étude avec la ferme résolution de chercher, non la démonstration d’aucune idée préconçue, mais la vérité, rien que la vérité. Qui s’embarquerait avec un parti pris, dans le voyage ne verrait que son parti pris.

Et ce serait une grave erreur de croire qu’il suffit de la bonne volonté