Page:La Société nouvelle, année 11, tome 1, volume 21, 1895.djvu/11

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Une autre des particularités de ce siècle est toute en faveur de cette tendance à se passer de gouvernement. C’est le nombre toujours croissant d’entreprises dues à l’initiative privée et le rapide développement d’institutions fondées sur le simple accord des parties. Le réseau des chemins de fer européens — confédération de centaines de sociétés particulières — et le transport direct des voyageurs et des marchandises, qui s’opère sur une multitude de voies ferrées, indépendantes les unes des autres, construites par petits tronçons et fédérées ensuite, sans qu’il y ait eu besoin pour cela d’un office central des chemins de fer européens, sont un des plus frappants exemples de l’harmonie fondée sur le consentement mutuel. On aurait traité de fou celui qui se serait avisé de prédire, il y a quelque cinquante ans, que des chemins de fer construits par tant de compagnies différentes, constitueraient finalement cet admirable réseau. On se serait hâté de prédire que ces mille et une compagnies, agissant toutes dans leurs intérêts, ne pourraient s’entendre sans en référer à un bureau central appuyé sur une Convention internationale des États européens et muni de pouvoirs dictatoriaux. Mais on s’est passé de Conventions et l’on n’en est pas moins tombé d’accord. Les Beurden hollandais qui régissent les rivières d’Allemagne et jusqu’au commerce maritime de la Baltique, les innombrables fédérations manufacturières et syndicats sont encore des exemples à l’appui. Qu’importe que la plupart de ces institutions s’unissent dans un intérêt d’exploitation trop visible ! Si des hommes n’ayant en vue qu’un misérable gain personnel s’entendent pour agir de concert, d’autres hommes poursuivant un but plus élevé s’entendront encore plus facilement en se groupant pour le bien commun.

Du reste, il ne manque pas d’associations libres en vue d’institutions purement humanitaires. L’une des plus belles créations du siècle n’est-elle pas la Société anglaise des Sauveteurs ! Depuis ses humbles commencements que nous nous rappelons tous, elle n’a pas sauvé moins de 32, 000 vies. Elle fait appel aux plus nobles instincts et n’a d’autre mobile que le dévouement ; ses comités locaux s’organisent comme ils l’entendent. Mentionnons en même temps l’Association des hôpitaux de l’Angleterre et tant d’organisations analogues opérant sur une large échelle. Mais que savons-nous des résultats obtenus par la coopération ? nous qui sommes si instruits des actes du gouvernement, enregistrés par des milliers de volumes, des moindres améliorations qu’il est censé avoir introduites, dans lesquelles on exagère le bien qu’il a pu faire tandis que le mal est passé sous silence ? Où se trouve le livre qui mentionne les bienfaits dus à la coopération d’hommes de cœur ? — On fonde aussi tous les jours par centaines des associations destinées à donner satisfaction à l’immense variété des besoins de l’homme civilisé ; des sociétés pour tous les genres d’études, quelques-unes d’entre elles embrassant le vaste champ des sciences naturelles,