Page:La Société nouvelle, année 11, tome 1, volume 21, 1895.djvu/93

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position qui manque de franchise. Le pathos qui s’en émane s’appelle la foi : fermer les yeux une fois pour toutes devant soi-même pour ne pas souffrir de l’aspect d’une fausseté incurable. On se fait en soi-même de cette défectueuse optique une morale, une vertu, une sainteté, on relie la bonne conscience à une vision fausse, on exige qu’aucune autre sorte d’optique n’ait plus de valeur, après avoir faite sacro-sainte la sienne propre, avec les noms de « Dieu », « salut », « éternité ». Partout encore j’ai mis à jour l’instinct théologique : c’est la forme la plus répandue de la fausseté sur la terre, la forme vraiment souterraine de la fausseté. Ce qu’un théologien éprouve comme vrai, doit être faux : c’est presque un critérium de la vérité. C’est son plus inférieur instinct de conservation qui lui interdit de mettre la réalité en honneur, ou de lui donner la parole en un point quelconque. Les évaluations sont renversées partout où atteint l’influence théologique et les concepts « vrai » et « faux » sont nécessairement renversés : « vrai » c’est dans ce cas ce qui est le plus pernicieux pour la vie, ce qui l’élève, la surhausse, l’affirme, la justifie et la fait triompher s’appelle « faux »… S’il arrive que les théologiens, par la « conscience » des princes (ou des peuples), étendent les mains vers la puissance, ne doutons pas de ce qui se passe chaque fois au fond : la volonté de la fin, la volonté nihiliste veut obtenir le pouvoir…


X


Entre Allemands on saisirait de suite, si je disais que la philosophie est corrompue par du sang de théologiens. Le pasteur protestant est le grand-père de la philosophie allemande, le protestantisme lui-même son peccatum originale. Définition du protestantisme : le christianisme paralysé d’un côté — et la raison aussi… On n’a qu’à prononcer le mot de « séminaire de Tubingue » pour comprendre ce qu’est en somme la philosophie allemande — une théologie par supercherie… Les Souabes sont les meilleurs menteurs de l’Allemagne, ils mentent innocemment… D’où vient l’allégresse qui passa en Allemagne à l’apparition de Kant, dans le monde de la science qui se compose aux trois quarts de fils de pasteurs et de maîtres d’école. — d’où vient la conviction allemande qui maintenant encore trouve son écho, la conviction qu’avec Kant commence un revirement vers le mieux ? L’instinct théologique dans le savant allemand devinait ce qui maintenant était de nouveau possible. Un chemin détourné vers l’idéal ancien était ouvert, le concept du « vrai monde », le concept de la morale en tant qu’essence du monde (ces deux plus méchantes erreurs qu’il y ait !) était de nouveau sinon démontrable, du moins impossible à réfuter, grâce à un scepticisme subtil et rusé… La raison, le droit à la raison, n’a pas de grande