Page:La Société nouvelle, année 12, tome 1, 1896.djvu/180

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de cet idéal ne touche pas. Aveuglés par leurs propres idées théologiques et politiques, idées qui représentent au fond autant de chaînes antiques et nouvelles pour le peuple, ils n’ont vu dans cette aspiration que l’expression brutale d’appétits brutaux, et ils n’ont pas compris que, dans sa forme inconsciente et naïve, elle contient la plus haute et la plus émancipatrice idée du siècle ; celle qui, en détruisant toutes les idéalités comme abstractions, comme fictions ou comme symboles théologiques, poétiques, juridiques et politiques, doit les transformer en des réalités populaires vivantes : vérité, justice, liberté, égalité, solidarité, fraternité, humanités, toutes ces magnifiques choses, tant qu’elles sont restées à l’état de vérités théologiques, poétiques, politiques et juridiques n’ont servi qu’à consacrer et couvrir la plus brutale et la plus dure oppression et exploitation dans la vie réelle du peuple, n’ont exprimé que la condamnation des masses à la misère et à la servitude éternelles. La base réelle, en même temps que la dernière conséquence de toutes ces abstractions splendides, n’a-t-elle pas toujours été, depuis qu’existe une histoire, l’exploitation du travail forcé des masses au profit des minorités privilégiées appelées classes ? L’Église catholique, la plus idéale de toutes par son principe, n’a-t-elle pas été, depuis les premières années de son existence officielle, c’est-à-dire depuis l’empereur Constantin le Grand, l’institution la plus rapace et la plus cupide ? Et tout le reste à l’avenant. Toutes les splendeurs de la civilisation chrétienne, Église, État, prospérité matérielle des nations, science, art, poésie, tout cela n’a-t-il pas eu pour cariatide l’esclavage, l’asservissement, la misère des millions de travailleurs qui constituent le vrai peuple ? Que fait donc le peuple en posant cette terrible question économique ? Il attaque toute cette civilisation, qui l’a trop longtemps asservi, dans sa base réelle. Il force les idéalités éternelles à tomber du ciel soit théologique, soit politique, sur la terre de la vie réelle et à se transformer en des réalités vivantes et fécondes pour le peuple. En revendiquant son pain quotidien, le plein produit de son travail, le peuple revendique donc pour lui-même la science, la justice, la liberté, l’égalité, la solidarité, la fraternité, et pour dire tout en un mot, l’humanité. D’où il résulte que son matérialisme, que les mazziniens méprisent tant, est la plus haute expression de l’idéalisme pratique et réel.

Voilà ce que les mazziniens, tant qu’ils resteront fidèles à la doctrine politico-religieuse de leur maître, ne comprendront jamais. Mais de la différence des préceptes et des buts découle inévitablement la différence des moyens et de la pratique révolutionnaire. Les mazziniens, infatués de leurs idées prises en dehors de la vie et des réelles aspirations populaires, s’imaginent qu’il leur suffit de se former en petits centres de conspiration dans