Page:La Société nouvelle, année 12, tome 1, 1896.djvu/186

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les capitalistes de prélever à leur propre profit une partie et toujours la plus grande des produits de ce travail. L’intérêt du capital et toutes les primes gagnées par lui dans les différentes spéculations financières, commerciales et industrielles ne signifient pas autre chose que ce prélèvement inique. Car enfin, mettez ensemble autant de capitaux que vous voudrez, ils ne feront jamais d’enfants. Du moment que les associations ouvrières seront délivrées du joug du capital, ce qui signifie que, possédant des capitaux elles-mêmes, elles n’auront pas besoin de payer les services des capitaux étrangers, ces derniers ne donneront plus aucun intérêt, et leurs possesseurs actuels les auront mangé bien vite. Émancipation du travail ne peut donc signifier autre chose qu’expropriation des capitalistes et transformation de tous les capitaux nécessaires au travail en propriété collective des associations ouvrières.

Quant à l’idéal politique contenu dans les instincts du prolétariat des villes, il me semble partagé aujourd’hui entre deux tendances passablement opposées et contradictoires. D’un côté, l’ouvrier des villes, même le moins instruit, détaché par la nature même de ses occupations de cet esprit local qu’imprime la culture de la terre, comprend facilement la solidarité universelle des travailleurs de tous les pays, trouve plutôt sa patrie dans son métier particulier que dans la terre sur laquelle il est né. L’ouvrier des villes est plus ou moins cosmopolite. De l’autre, sans doute sous l’influence des doctrines bourgeoises qu’il a subies si longtemps, il n’est pas très opposé à la centralisation de l’État. Les ouvriers allemands et anglais rêvent aujourd’hui cette centralisation d’un grand État, pourvu, disent-ils, que cet État soit bien populaire : l’État des travailleurs, ce qui constitue une utopie selon moi, tout État et tout gouvernement centraliste impliquant nécessairement une aristocratie et une exploitation, ne fût ce que celles de la classe gouvernante. N’oublions jamais qu’État signifie domination et que la nature humaine est ainsi faite que toute domination se traduit fatalement et toujours en exploitation.

Par contre, la masse des paysans est naturellement fédéraliste. Le paysan est passionément attaché à la terre et il déteste de tout son cœur la domination des villes et tout gouvernement extérieur qui lui impose sa pensée et sa volonté. En Angleterre et en Allemagne, la révolution qui se prépare prend décidément le caractère d’une révolution des villes, tendant à une nouvelle domination des villes sur la campagne. En Angleterre, le danger qui en résultera pour la révolution elle-même ne sera pas si grand, car proprement, si l’on excepte l’Irlande, la classe des paysans n’y existe pas — tous les travailleurs ruraux étant des salariés, payés par jour comme les ouvriers des villes. En Allemagne, c’est tout autre chose ; la masse des