Page:La Société nouvelle, année 12, tome 1, 1896.djvu/190

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les Crispi, Nicotera et Cie ; Bertani a été toujours avec tout le monde, l’ami de tout le monde, et il ne s’est jamais donné à personne ; il est même l’ami d’Alberto Mario, qui est trop vaniteux pour chercher un autre ami que lui-même et dont on peut dire, sans doute avec plus de raison, ce que Camille Desmoulins avait dit de Saint-Just : « Qu’il porte sa tête comme un saint Sacrement. »

Bertani est l’homme politique par excellence. Il a toujours voulu fare da se. Hommes, partis et choses, tout doit lui servir de moyen. Avec cela, je le crois un républicain très sincère. Je pense et en récapitulant certaines conversations que j’ai eues, il n’y a pas trop longtemps, avec lui, je suis porté à croire qu’il nourrit au fond de son cœur cette passion ambitieuse secrète de ne point mourir avant d’avoir rétabli, ou au moins sans avoir puissamment contribué au triomphe et à l’établissement de la république en Italie. Seulement, de quelle république ? Fédéraliste ou centraliste ? Voilà ce que je n’ai pas su bien démêler. Je crois qu’il ne le sait pas encore bien lui-même. Bertani n’étant pas un doctrinaire, n’a pas d’idéal préconçu, et je pense que s’il a même quelques idées favorites, il les sacrifiera sans grande peine si les circonstances et le caractère, l’ensemble d’un mouvement le lui commandent. Il est l’ami de Giuseppe Mazzoni de Prato, celui qu’on appelle le Caton de la Toscane, l’ami d’Alberto Mario, et tous les deux sont des fédéralistes régionaux, chacun à sa manière ; il est fédéraliste avec eux et centraliste avec les mazziniens, comme il est constitutionaliste avec la gauche parlementaire. Au besoin il fera du socialisme et de l’internationalisme avec vous. En un mot, il se tient au-dessus de tous les partis, au moins dans son idée, avec l’intention de tirer avantage de chacun pour l’accomplissement de ses fins plutôt pratiques que théoriques et principielles. C’est l’homme d’État par excellence, élève plutôt de Machiavel que de Dante.

Et c’est précisément parce qu’il est un disciple de Machiavel que je le crois appelé maintenant à gouverner la troupe débandée des mazziniens, disciples de Dante. Pour les mazziniens, ce sera incontestablement très utile, parce que Bertani imprimera à leurs efforts révolutionnaires et républicains une tendance pratique qu’à eux seuls ils ne seraient jamais capables de réaliser. Mais il ne faut pas s’y tromper, la république pour le triomphe de laquelle travaillera Bertani, sera une république exclusivement bourgeoise ; parce que lui-même, bourgeois par le sang, par toutes ses pensées et par tous ses instincts, par ses intérêts, par son ambition et par toutes ses amitiés, il ne pourra jamais agir dans un autre sens que dans celui d’un homme d’État bourgeois, plutôt centraliste que fédéraliste, plutôt exploiteur que socialiste, qui cherchera sans doute à concilier les deux termes opposés et incon-