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LA SOCIÉTÉ NOUVELLE

lors en s’unissant au désir de connaître quelque chose de positif sur la vie de ceux qui nous ont précédés. De l’union de ces sentiments, nous trouvons l’expression la plus large dans les pages de Walter Scott. Exemple curieux, montrant comment parfois dans une renaissance un art reste en-dessous des autres, l’auteur de ce naturalisme exquis et franc du Cœur de Midlothian, par exemple, se croyait continuellement tenu de paraître honteux et de s’excuser de son amour pour l’art gothique. Il sentait qu’il était romantique, il savait que cela lui procurait du plaisir, mais néanmoins il ne découvrit pas que c’était de l’art, ayant appris de tant de façons qu’il ne pouvait y avoir de l’art que dans ce qui avait été fait par un homme en renom et selon des règles académiques.

Inutile, je pense, d’insister longuement sur le changement survenu depuis lors. Vous savez que l’un des arts majeurs, l’art de la peinture, a été révolutionné. J’éprouve une difficulté réelle à vous parler d’hommes qui sont mes amis personnels ou même mes maîtres. Cependant, comme je ne puis les passer sous silence, je dois dire la vérité entière, que voici :

Jamais, pendant toute l’histoire de l’art, une génération d’hommes ne réalisa plus complètement l’œuvre de créer une chose de rien, que ce petit groupe de peintres, qui ont élevé l’art anglais de ce qu’il était, lorsque, tout enfant, je visitais l’Exposition de l’Académie royale, au rang qu’il occupe aujourd’hui.

Ce serait ingrat de ma part, moi qui doit tant à ses leçons, au point qu’en parlant je ne puis éviter de me faire l’écho de ses paroles, d’omettre ici le nom de John Ruskin, en rendant compte de ce qui s’est fait depuis que le courant intellectuel commença, nous aimons à le croire, à prendre la direction de l’art. Certainement, son style sans pareil, son admirable éloquence auraient attiré l’attention, quel qu’en fût le sujet, à une époque qui n’a pas perdu le goût de la littérature. Mais assurément, l’influence qu’il exerça sur la partie éclairée de la nation a été le résultat de ce style et de cette éloquence, qui exprimaient ce qui s’agitait déjà dans tous les esprits. Il n’aurait pu écrire, comme il l’a fait, si le monde n’y avait pas été en quelque sorte préparé ; pas plus que ces peintres n’auraient pu entreprendre leur croisade contre la lourdeur et l’impuissance qui étaient la règle dans leur art, il y a une trentaine d’années, s’ils n’avaient avec quelque raison l’espoir qu’ils amèneraient un jour le monde à les comprendre.

Depuis ce changement dans le cours des idées, nous trouvons que les gains ont été les suivants : quelques rares artistes ont renoué la chaîne d’or, rompue depuis deux siècles ; un petit nombre de gens, d’une haute culture intellectuelle, savent les comprendre ; en plus est né un vague et même sentiment de dégoût pour l’ignoble laideur qui nous entoure.