Page:La Société nouvelle, année 12, tome 1, 1896.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
L’ESTHÉTIQUE DE LA VIE

sés à agir, lorsqu’ils se sentiront eux-mêmes atteints par cet état de choses.

Mais comment eux, vous, nous tous, devons-nous agir ? Où est le remède ?

Peut-il y avoir un autre remède pour les erreurs de la civilisation qu’une civilisation plus large ? Vous ne supposez pas, par hasard, que nous avons été dans cette voie aussi loin qu’il est possible d’allër — en Angleterre du moins ?

Lorsque certains changements seront accomplis, et ce sera peut-être plus tôt que la plupart des gens ne le pensent, il n’est pas douteux que l’éducation ne se développe, tant en qualité qu’en quantité. Il arrivera, peut-être, que si le XIXe siècle s’appelle le Siècle du Commerce ; le XXe sera celui de l’Éducation. Dire que l’éducation n’est pas terminée en quittant l’école, c’est devenu aujourd’hui un lieu commun. Comment parler alors de l’éducation d’hommes qui mènent une vie de machines, qui ne pensent que pendant les quelques heures qu’ils ne sont pas au travail, qui, en un mot, passent presque leur vie entière à un labeur nullement propre à leur développer utilement le corps et l’esprit ? Vous ne pouvez donner de l’éducation, de la civilisation aux hommes sans leur donner en même temps une part dans l’art.

Oui, de la façon dont les choses se passent, il est difficile, effectivement, de donner cette part de la vie à la plupart des hommes. Ils n’en éprouvent ni le besoin, ni le désir et il est impossible, dans les conditions actuelles, que jamais ils en éprouvent la nécessité ou l’envie. Quoi qu’il en soit, toute chose a un commencement, et mainte grande chose eut un bien petit début et puisque, comme je l’ai dit, ces idées se sont fait jour sous plus d’une forme, nous ne devons pas trop nous décourager en considérant le fardeau apparemment impossible à transporter.

Après tout, nous ne sommes tenus qu’à jouer notre rôle, qu’à porter notre contingent dans la charge.

Ce concours ne sera nulle part considérable, mais partout où il est réclamé, il est indispensable. Travaillons donc sans faiblesse. Souvenons-nous que si, en des temps incertains, il est naturel, et par conséquent excusable, de sentir par moments le doute nous envahir, que cependant refuser de chasser ce doute et de travailler comme s’il n’existait pas, serait simplement de la lâcheté : ce qui est impardonnable. Personne n’a le droit de dire que tout a été fait en vain, que toute cette lutte fidèle et opiniâtre de ceux qui nous ont précédés n’aboutira pas, que l’humanité tournera toujours dans le même cercle. Personne n’a le droit de tenir pareil langage et, en même temps, de se lever chaque matin, de se bourrer d’aliments et de dormir la nuit, pendant que le reste de l’humanité peinera pour entretenir sa vie inutile.