Page:La Société nouvelle, année 12, tome 2, 1896.djvu/13

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l’image d’une véritable ruche industrielle, et le contraste est frappant entre les bouges que les fileurs habitent dans les villes et leurs chaumières souvent toutes fleuries à la campagne, surtout dans les districts qui possèdent une usine communale, quoique maintenant de longues files de maisons d’ouvriers, toutes construites sur le même modèle, viennent partout déshonorer les plus beaux sites. L’attachement est si fort des tisseurs à la terre, que les drapiers d’Elbœuf, qui n’ont pas de chevaux pour labourer le sol, recourent à un procédé que j’ai observé aussi en Savoie et à Clairvaux. Ils louent ces animaux à un propriétaire dont l’unique occupation est de labourer pour ses voisins, suivant un ordre scrupuleusement gardé. On en fait autant pour la machine à battre et pour le pressoir chez les vignerons.

On appréciera l’importance de l’industrie de soieries dont Lyon est le centre par ce fait qu’elle ne met pas moins de 110,000 métiers en mouvement dans le département du Rhône et sept départements voisins. De grands progrès ont été réalisés dans l’art de tisser à la vapeur des étoffes à dessins compliqués qu’ont n’eût pas cru pouvoir être reproduits par la machine ; cependant cette production est encore presque exclusivement domestique et ne pénètre que lentement dans le domaine de l’usine. En 1865, on comptait 6 à 8,000 métiers mécaniques dans la région lyonnaise, et on s’attendait à en voir le nombre augmenter rapidement, mais vingt ans plus tard, il n’y en avait que 20 à 25,000 sur les 110,000 métiers en activité. La lenteur de cette progression a de quoi surprendre les manufacturiers qui ne voient qu’une question de temps dans la disparition totale des métiers manuels[1]. L’organisation est restée la même qu’autrefois, c’est-à-dire qu’à Lyon l’ouvrier est surtout un artiste exécutant sur la soie les dessins vaguement indiqués par le patron et que, dans la région avoisinante, tous les tisseurs travaillent en chambre. Ils traversent une période critique depuis quelques années, la France n’ayant plus le monopole de ce commerce et la fabrication des soies inférieures qu’exécutaient auparavant même les meilleurs tisserands, quand ils n’avaient pas d’autre ouvrage pressé, étant maintenant du ressort exclusif de l’usine. Néanmoins, la fabrication manuelle s’étend toujours et elle a gagné les départements voi-

  1. Sur les 110,000 métiers en activité, il ne restait à Lyon, en 1885, que 15 à 18,000 métiers à la main, contre 25 à 28,000 en 1865. Je dois ces chiffres à l’obligeance du Président de la Chambre de commerce de Lyon qui, dans une lettre du 25 avril 1885, a bien voulu me donner toute sorte de renseignements sur les petits métiers de la région lyonnaise et auquel je suis heureux d’exprimer ici toute ma reconnaissance, ainsi qu’au Président de la Chambre de commerce de Saint-Étienne, qui m’a gracieusement envoyé des notes sur les divers métiers de la région stéphanoise.