Page:La Société nouvelle, année 12, tome 2, 1896.djvu/318

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sins germains de ma mère, y compris Mouravieff le Pendeur, en faisaient partie. Les membres de la société du Nord voulaient aussi l’émancipation des paysans, mais ils étaient en même temps les partisans du grand empire, dont ils voulaient l’intégrité, la puissance, avec une constitution libérale, naturellement nobiliaire, mais de fait, non de droit, de même qu’aujourd’hui la république démocratique de la Suisse est bourgeoise, non de droit, mais de fait. Préoccupée de la grandeur de l’empire, la société du Nord était contraire à l’indépendance de la Pologne.

La société du Midi, embrassant toute la Russie méridionale et ayant la ville de Kiev pour centre, était plus franchement révolutionnaire et tout à fait démocratique. Elle l’était non à cause du caractère particulier des habitants du Midi, puisqu’elle était essentiellement composée d’officiers de l’armée, dont la grands majorité étaient également natifs de la Grande-Russie, mais, parce que ces officiers étaient d’abord des officiers de l’armée, non de la garde, et parce qu’ils avaient à leur tête des hommes supérieurs : les colonels Mouravieff-Apostol, Destoujeff-Rumin, et un homme de génie : le colonel d’état-major Pestel.

Pestel était fédéraliste et socialiste dans ce sens qu’il ne se contentait pas seulement de revendiquer pour les paysans l’émancipation du servage, la liberté personnelle ; il demandait pour eux la propriété de la terre. En outre, il voulait la transformation de l’Empire en une fédération de provinces, en une république fédérative, comme les États-Unis de l’Amérique. Loin de méconnaître les droits de la Pologne à l’indépendance, ils cherchèrent à s’allier aux révolutionnaires polonais, ce qui leur attira la critique et même la colère de la société du Nord. Il y eut même à plusieurs reprises des pourparlers entre Pestel, Mouravieff-Apostol et Destoujeff-Rumin et les délégués polonais, dont j’ai oublié les noms, excepté un seul : le prince Jablonowski[1].

Voici ce qu’un écrivain polonais contemporain, fort estimé par les Polonais de tous les partis, mais du parti démocratique surtout, historien et acteur en même temps de l’insurrection de 1830 et de la conspiration qui l’avait précédée, voici ce qu’il dit de ces rencontres entre les délégués polonais et russes, dans son histoire de cette révolution polonaise :

« Il fut convenu que les délégués moscovites ont apporté dans cette rencontre avec les délégués polonais une profonde connaissance des choses et une parfaite bonne foi, tandis que nos délégués polonais n’y apportent que leur légèreté et de vains subterfuges. »… « Chose inouïe et qui est digne d’être conservée dans les annales des peuples slaves : tandis que les

  1. Ce furent Severin Krygzanowski, le prince Antoine Jablonowski et Grodecki.