Page:La Société nouvelle, année 12, tome 2, 1896.djvu/585

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divin seul est juste, vrai, heureux et bon, et tout ce qui est humain dans l’homme doit être par là même déclaré faux, inique, détestable et misérable. Le contact de la divinité avec cette pauvre humanité doit donc nécessairement dévorer, consommer, anéantir tout ce qui reste d’humain dans les hommes.

Aussi l’intervention divine dans les affaires humaines n’a-t-elle jamais manqué de produire des effets excessivement désastreux. Elle pervertit tous les rapports des hommes entre eux et remplace leur solidarité naturelle par la pratique hypocrite et malsaine des communautés religieuses, où, sous les dehors de la charité, chacun ne songe qu’au salut de son âme, faisant ainsi, sous le prétexte de l’amour divin, de l’égoïsme humain excessivement raffiné, plein de tendresse pour lui-même et d’indifférence, de malveillance, voire même de cruauté pour le prochain. Cela explique l’alliance intime qui a toujours existé entre le bourreau et le prêtre, alliance franchement avouée par le célèbre champion de l’ultramontanisme, M. Joseph de Maistre, dont la plume éloquente, après avoir divinisé le pape, n’a pas manqué de réhabiliter le bourreau ; — l’un était, en effet, le complément nécessaire de l’autre.

Mais ce n’est pas dans la seule Église catholique qu’existe et se produit cette tendresse excessive pour le bourreau. Les ministres sincèrement religieux et croyants des différents cultes protestants, n’ont-ils pas unanimement protesté de nos jours contre l’abolition de la peine de mort, tant il est vrai que l’amour divin tue dans les cœurs qui en sont pénétrés, l’amour des hommes ; tant il est vrai aussi que tous les cultes religieux en général, mais parmi eux le christianisme surtout, n’ont jamais eu d’autre objet que de sacrifier des hommes à leurs dieux. Et parmi toutes les divinités dont nous parle l’histoire, en est-il une seule qui ait fait verser tant de larmes et de sang que ce bon Dieu des chrétiens ou qui ait perverti au même point les intelligences, les cœurs et tous les rapports des hommes entre eux ?

Sous cette influence malsaine, l’esprit s’éclipsait et la recherche ardente de la vérité se transformait en un culte complaisant du mensonge ; la dignité humaine s’avilissait, l’homme (un mot illisible) devenait traître, la bonté cruelle, la justice inique et le respect humain se transformait en un mépris croyant pour les hommes ; l’instinct de la liberté aboutissait à l’établissement du servage, et celui de l’égalité à la sanction des privilèges les plus monstrueux. La charité, devenant délatrice et persécutrice, ordonnait le massacre des hérétiques et les orgies sanglantes de l’Inquisition ; l’homme religieux s’appela jésuite, mômier ou piétiste — renonçant à l’humanité il visa à la sainteté — et le saint sous les dehors d’une humanité plus (un mot illisible) devenait hypocrite et de la charité cacha l’orgueil et l’égoïsme