Page:La Société nouvelle, année 12, tome 2, 1896.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

celle-ci de nouveau à l’agriculture ? Nous nous proposons d’examiner dans les pages suivantes si cette association est possible au point de vue pratique, si elle serait désirable et si l’organisation actuelle nous fournirait les éléments propres à cette reconstitution. Mais le meilleur moyen de résoudre la question n’est-il pas d’étudier le fonctionnement des diverses industries rurales qui, sans jamais avoir beaucoup attiré l’attention, n’en étaient pas moins fort nombreuses autrefois, non pas de les étudier dans les ouvrages des économistes, trop portés généralement à les présenter comme de simples survivances, mais de les voir à l’œuvre dans les milieux où elles se sont maintenues, tout en luttant parfois héroïquement et finissant souvent par l’emporter.

Il est certain que nombre de ces petits métiers sont bien menacés dans leur existence. Les salaires sont bas, le travail incertain, les journées de trois ou quatre heures plus longues qu’à l’usine, les chômages fréquents et prolongés ; et chaque fois qu’une crise menace telle ou telle de ces petites industries, les prophètes abondent pour en prédire la ruine prochaine. J’étais en Suisse en 1877, pendant que l’horlogerie traversait une de ces phases pénibles et je voyais les journaux renchérir à l’envie sur l’impossibilité de se défendre contre la concurrence des machines. En 1882, on en disait autant aux tisseurs de soie de la région lyonnaise, et partout on le répète chaque fois que se produit une crise dans n’importe quel métier. Pourtant, malgré ce pessimisme et le découragement même des ouvriers, cette forme de l’activité humaine paraît douée d’une surprenante vitalité. Elle subit de nombreuses modifications, elle s’adapte à de nouveaux besoins, mais elle n’abandonne pas la lutte et ne doute pas qu’elle verra luire des jours meilleurs. En tout cas, sa décadence n’est pas définitive, car si la grande usine l’emporte incontestablement pour certaines industries, il en est d’autres où les petits métiers sont restés maîtres du champ de bataille, et la filature même, où tous les avantages restent à l’usine, ne s’est pas encore entièrement débarrassée de la fabrication à la main. En somme, la transformation des petits métiers en grandes industries s’opère avec une lenteur qu’ont de la peine à expliquer ceux mêmes qui la disent inévitable, et l’on assiste parfois à des réactions en sens contraire. Je n’oublierai jamais mon étonnement en voyant, vers 1878, à Verviers, d’immenses fabriques dont quelques-unes tenaient toute la rue avec plus de cent fenêtres de façade, rester fermées, laissant se rouiller leurs machines, tandis que, dans les maisons, des ouvriers tissaient à la main pour le compte des propriétaires de ces mêmes usines. Ceci n’est sans doute qu’un fait isolé, s’expliquant par le caractère irrégulier de cette industrie et par les pertes considérables que supportent les fabricants quand leurs machines ne peuvent pas fonctionner