Page:La Société nouvelle, année 14, tome 1, 1908.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’énergie, il réussit à s’imposer, avec Hyndman, le chef de la Social Democratic Federation, à la populace la plus réfractaire qui soit aux idées générales et désintéressées. Mais bientôt les restrictions de la politique quotidienne l’incommodèrent ; il rêva un socialisme à la fois plus libre et plus intellectuel, et fonda, comme organe de la Socialist League, le journal hebdomadaire The Commonweal, où collaborèrent Walter Crane par ses dessins et Bernard Shaw, Belfort Bax, Edward Aveling et d’autres par leurs écrits. Le rôle indépendant que joua William Morris dans le socialisme anglais est nettement indiqué par son abstention au premier Congrès marxiste de Londres, quoiqu’il prit part au Congrès International de 1889, siégeant à Paris. Il semble avoir fini par une sorte de communisme anarchique et un peu utopique, si toutefois il est permis de définir une opinion qui se refusa toujours à toute classification. Mais si William Morris resta rebelle aux formules plus ou moins restrictives de l’école, il ne se montra chiche ni de paroles, ni d’actes, qui scandalisèrent ses confrères de lettres et effarouchèrent les révolutionnaires de salon. Pour le peuple il écrivit quelques hymnes réunis en brochure sous le titre : Chants pour Socialistes. Lui a-t-on assez reproché ces quelques pages qui n’étaient destinées, dans l’esprit de leur auteur, qu’à enflammer d’un peu de lyrisme la naïve imagination de ses compagnons ! Il prodigua aussi les conférences, dont quelques-unes sont comparables aux plus belles exhortations de ces réveilleurs de consciences, Carlyle, Ruskin et Emerson. Enfin il exposa plus complètement sa foi, d’aucuns dirent ses illusions, dans Le Rêve de John Ball, où il évoque une utopique Angleterre de paix, de douceur et de beauté, et dans Nouvelles de Nulle Part, qui ont été traduites en français par M. La Chesnais.[1]

Ce fut donc, peut-on dire, en plein rêve et en pleine lutte que succomba William Morris — désappointé peut-être de voir ses désirs si peu réalisés, heureux pourtant de s’être amplifié par une pensée et une action incessantes.

Car c’est avant tout l’exemple de l’action que nous a légué William Morris. Comme tous les grands poètes, Byron, Shelley, Victor Hugo, il ne put s’empêcher d’être aussi lyrique

  1. Une traduction des Nouvelles de Nulle Part, la première en français, croyons-nous, a paru dans La Société Nouvelle en 1892 (1re série, livraisons 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91). — N. D. L. R.