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Emerson, Shelley, Ibsen, Carlyle, Ruskin, Walt Whitman, Tolstoï et enfin cet admirable William Morris qui est déjà en France, grâce à la bonne volonté de quelques traducteurs, un peu plus qu’un nom, mais dont l’œuvre et l’action dans leur ensemble restent à peu près inconnus. Dans sa propre patrie il ne semble guère apprécié que par l’élite. Il mourut en 1896, alors que l’Angleterre commençait une des guerres les plus iniques de l’Histoire contre une petite nation héroïque et obstinée dont la défaite finale fut encore plus glorieuse que les victoires. Si, cette année-là, le peuple anglais n’avait pas perdu, dans un accès de cette folie furieuse qu’on appelle le patriotisme, toutes ses hautes qualités, il eût jonché de palmes, à l’ombre des bannières rouges et noires de la révolte et de l’espérance, le cercueil de celui qui ne se contenta pas d’être un des plus grands poètes de son pays, mais qui crut également important, en cette année de couardise générale, de se montrer jusqu’au bout un homme.

D’ailleurs le peuple anglais ne le connaissait même pas, et je ne saurais le comparer qu’à ce magistrat qui, ayant à juger William Morris à la suite des émeutes de Trafalgar Square, n’eut pas honte de trahir son ignorance en lui demandant, après avoir appris son nom, quelle était sa profession. « Je suis l’auteur de l’Earthly Paradise », répondit avec une ironique modestie le poète, citant le titre de son chef-d’œuvre. C’est la réponse que le pair de Swinburne, de Tennyson et de Rossetti fera de siècle en siècle à la barre de la postérité.

William Morris, né en 1834 à Walthamstow, reçut sa première éducation à Marlborough College, d’où il passa vers sa vingtième année à Exeter College, Oxford. C’est à cette Université qu’il se lia avec Burne Jones, destiné comme lui par sa famille au clergé, et comme lui plus enclin aux choses de l’art qu’à celles de la théologie. Les deux amis ne tardèrent pas à jeter aux marguerites des préaux d’Oxford les poudreux bouquins des Pères de l’Église, avec l’indulgente approbation de Dante Gabriel Rossetti, dont ils avaient fait la connaissance en 1856. Celui-ci écrivait d’eux en 1867 : « Deux jeunes gens sont récemment venus à la ville ; ils ont étudié à Oxford et sont maintenant de mes plus intimes amis. Leurs noms sont Morris et Jones. Ils se sont faits artistes au lieu de choisir aucune des carrières où conduit en général l’Université ; et tous deux sont des hommes de réel génie. Les dessins