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besogne que je remplirai pour n’importe qui ; aussi, accepter quelque chose pour cela semblerait bizarre d’ailleurs. Et plus, si une personne me donnait quelque chose, une autre pourrait le faire aussi et une autre et ainsi de suite ; et j’espère que vous n’allez pas me croire grossier, si je vous dis que je ne saurais où mettre tant de « souvenirs d’amitié ».

Et il riait bruyamment et gaiement comme si l’idée d’être payé pour son travail était une plaisanterie très gaie. Je confesse que je commençais à craindre que cet homme ne fût fou, quoiqu’il parût sain d’esprit et je fus heureux en pensant que j’étais bon nageur, car nous étions près d’un profond et rapide courant. Cependant, il continuait à parler pas du tout comme un fou : « Quant à vos pièces, elles sont très curieuses mais pas très anciennes ; elles paraissent toutes être du règne de Victoria ; vous pouvez les donner à un musée pauvrement pourvu. Le nôtre a assez de ces pièces ; de plus, une belle quantité de plus anciennes, dont beaucoup sont belles, tandis que celles du XIXe siècle sont si bêtement laides, n’est-ce pas ? Nous avons une pièce d’Édouard III, représentant le roi dans un bateau avec de petits léopards et des fleurs de lys tout autour du bord, si délicatement travaillée. Vous voyez, dit-il avec un léger sourire d’orgueil, j’aime tant à travailler l’or et les métaux fins ; cette boucle est une de mes premières œuvres ».

Sans doute je l’avais regardé avec un peu de méfiance, sous l’influence du doute où j’étais de l’état de son esprit. Il s’arrêta net à cause de mon regard et me dit d’un ton aimable : « Mais je crois que je vous ennuie et je vous demande pardon. Pour ne pas entrer dans les détails, je vois bien que vous êtes un étranger et devez venir d’un pays bien différent de l’Angleterre. Mais il est clair qu’il est inutile aussi de vous donner trop de renseignements concernant cette place, et vous feriez mieux de vous assimiler ces choses peu à peu. En outre, je le prendrai pour une bonté de votre part si vous vouliez me permettre d’être votre guide dans notre nouveau monde, puisque vous m’avez rencontré le premier, quoique en vérité ce serait une pure bonté de votre part, car presque tout le monde ferait un aussi bon guide que moi, et plusieurs beaucoup mieux ».

Il n’y avait rien là qui fit croire qu’il sortait de la maison de santé de Colney-Hasch ; et puis je pensais que je pouvais facilement me débarrasser de lui si je voyais qu’il était réellement fou ; aussi je lui dis : « C’est une très aimable offre, mais il est difficile pour moi d’accepter, à moins… » J’étais sur le point de dire : « À moins que vous me permettiez de vous payer convenablement ; » mais, de crainte d’exciter sa folie de nouveau, je changeai la phrase en : « J’ai peur de vous empêcher de faire votre ouvrage ou de vous livrer à vos amusements ».