Page:La Société nouvelle, année 8, tome 1, 1892.djvu/749

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vos mamelles ! — Je veux vous traire, — vaches de la hauteur ! — Sagesse chaude comme le lait, douce rosée de l’amour, — je vous répands à flots sur le pays.

Partez, partez, vérités, — votre regard est trop sombre ! — Je ne veux pas sur mes montagnes — voir les brutales impatientes vérités. — Dorée par le rire, — que s’approche aujourd’hui la vérité — adoucie par le soleil, hâlée par l’amour, — je ne cueille de l’arbre qu’une vérité mûre.

Aujourd’hui j’étends la main — vers les boucles du hasard, — assez habile pour conduire le hasard, — comme on conduit un enfant, pour le duper. — Aujourd’hui je veux être hospitalier — pour l’importun, — même pour le destin je rentrerai mes épines. — Zarathustra n’est pas un hérisson.

Mon âme, — insatiable avec sa langue, — à toutes choses bonnes et mauvaises elle a déjà léché, — vers chaque profondeur elle a plongé. — Mais toujours, comme le bouchon, — toujours elle reparaît, surnage, — elle bouffonne comme l’huile sur la mer brune : — c’est pour une telle âme qu’on me nomme : l’heureux.

Qui sont mon père et ma mère ? — Mon père, n’est-ce pas le prince Abondance, — ma mère, le rire silencieux ? — N’est-ce pas l’union de ces deux-là qui m’engendra, — moi l’animal-énigme, — moi, l’ennemi de la lumière, — moi prodigue de toute sagesse, Zarathustra ?

Aujourd’hui malade de douceur, — un vent de dégel, — rêve Zarathustra dans l’attente, sur les montagnes. — Devenu doux, et cuit — dans son propre suc, — en-dessous de son sommet, — en-dessous de sa glace, — fatigué et bienheureux, — un créateur à son septième jour.

— Silence ! — Une vérité marche au-dessus de moi, — semblable à un nuage, — d’invisibles éclairs elle me frappe. — À travers de larges et lents escaliers — monte son bonheur vers moi : Viens, viens, vérité bien-aimée !

— Silence ! — C’est ma vérité ! — De ses yeux hésitants, — de toutes ses terreurs — vers moi se jette son regard, — aimable, méchant, un regard de jeune fille… — Elle a deviné le fond de mon bonheur, — elle m’a deviné, — ah ! à quoi pense-t-elle ? — Rouge épie un dragon — sous l’abîme de son regard de jeune fille.

— Silence ! Ma vérité parle !

Malheur à toi, Zarathustra ! — Tu as l’air d’un homme — qui a avalé de l’or : — on finira par t’ouvrir le ventre !…

Tu es trop riche, — tu gâtes trop de monde ! — tu fais trop d’envieux, — trop de pauvres… — Moi-même, ta lumière me relègue dans l’ombre, — et j’ai froid : va-t’en, riche, — va t’en, Zarathustra, va-t’en de ton soleil !…