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LOUIS DE LA VALLÉE POUSSIN


dans le nirvāṇa s’ils le voulaient, mais qui préfèrent demeurer dans le « monde du devenir » (saṃsāra) uniquement pour mon salut, pour le salut de tous ceux qui souffrent. Ces êtres sublimes, ces Bodhisattvas « gradés » (bhūmiprāpta), qui possèdent les « terres » ou « grades » supérieurs des futurs Bouddhas, ce sont en vérité des dieux vivants : on les prie, et ils entendent les prières[1].

3. Le Bouddhisme du Grand Véhicule. — et c’est son indiscutable originalité. — en même temps qu il organisait ainsi une vie spirituelle toute d’activité, d’adoration et de miséricorde, développait jusqu’à leurs dernières conséquences les principes nihilistiques de l’ancienne école bouddhique. Le Bouddha, — du moins la tradition la plus archaïque en fait foi, — avait affirmé qu’il n’existe pas de « moi » permanent, et enseigné que l’homme n’est autre chose qu’un complexe d’éléments, les uns matériels, les autres spirituels, complexe dont la responsabilité des actes maintient l’intégrité à travers les existences successives, et dont la dissolution suivra nécessairement la « dégustation » des fruits des actes anciens et la cessation d’actes nouveaux. Le Grand Véhicule a systématisé et rationnellement « démontré » cette doctrine ; bien plus, il a reconnu que les phénomènes eux-mêmes n’existent pas en réalité, et il a résumé toute psychologie et toute cosmologie dans ce seul mot : « vacuité » (çūnyatā). Par la connaissance de la « vacuité », on supprime l’illusion de la pensée. L’illumination parfaite des Bouddhas n’est autre chose

  1. Je me sers de la majuscule pour distinguer ces deux catégories de futurs Bouddhas : les bodhisattvas, ou « futurs Bouddhas qui commencent » (ādikarmika), chez lesquels il y a tout au moins un désir de charité ; mais ils peuvent manquer de moralité comme de science ; ils peuvent commettre des péchés graves et renaître dans les enfers, etc. Les Bodhisattvas, non seulement évitent tout péché mais possèdent un « corps de jouissance » (sambhogakāya) ; trônent dans les Paradis à côté des Bouddhas ; s’incarnent et se manifestent dans tous les mondes, enfers y compris, pour sauver les créatures. Les « terraces » ou « grades » des « futurs Bouddhas » sont tantôt au nombre de dix (Mahāvastu, Daçabhūmaka, Madhyamakāvatāra), tantôt au nombre de cinq (Bodhisattvabhūmi). Je n’entrerai pas ici dans les détails (Voir le Sommaire du Bodhisattvabhûmi dans Muséon 1905) et suiv. et le Madhyamakāvatāra, texte tibétain dans Bibliotheca Buddhica et traduction en préparation).