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M. Zola[1] prête aux campagnards des propos d’une obscénité prolixe et d’une lubricité pittoresque qu’ils

ne tinrent jamais. J’ai causé quelquefois avec des

  1. Je suis heureux d’apporter à l’appui de ce que j’avance une pièce justificative dont l’autorité n’est pas contestable. C’est une lettre datée de Rambervillers et signée d’un médecin de campagne qui donne depuis vingt ans ses soins aux paysans vosgiens. La voici :
    « 28 août 1887.
     » Monsieur,

     » Je viens de lire votre Vie littéraire dans le Temps du 28 août. Voulez-vous permettre à un médecin de campagne, qui, depuis vingt années, vit avec les paysans, de vous donner son appréciation sur leurs mœurs ?

     » Il y a un fait qui ressort éclatant : c’est que le paysan n’est jamais sale en paroles. Toujours, quand il est amené à dire quelque chose de risqué, il emploie la formule « sauf votre respect ». Jamais il ne racontera crûment, comme le veut M. Zola, une histoire un peu grasse. C’est toujours avec réticences, avec des précautions oratoires, des périphrases qu’il le fera. Cela, parce que le fait qu’il conte est sûrement une personnalité et que toujours, sur cet article, le paysan est d’une prudence extraordinaire. Ce n’est pas le paysan que l’on peut accuser d’appeler les choses par leur nom. Bien au contraire, on peut dire de lui que la parole a été donnée pour déguiser la pensée.

     » Comme vous le dites fort bien, il parle par sentences, par axiomes ; et si, au cabaret, la langue déliée par le vin ou l’alcool, — hélas ! — il conte une histoire gauloise, il gaze son récit. Jamais, comme vous le dites également, il n’emploiera le parler des faubourgs.

     » Ce n’est pas à dire que je veuille présenter mes paysans comme des modèles de chasteté ou de vertu. Il y aurait sur ce chapitre bien des choses à dire. Mais ce que j’ai lu de la Terre me prouve, à moi qui vis depuis vingt ans avec les paysans, que M. Zola n’a jamais fréquenté les gens de la campagne.

     » Chez ceux-ci, on trouve un sentiment de pudeur excessive,