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LA VIE LITTÉRAIRE.
sur les individus qui se sont le plus signalés dans cette carrière de dégradation. La mort vint mettre un terme à l’exercice de tant de facultés que n’avait pu affaiblir la souffrance physique. Dans son agonie même, Julie conserva toute sa raison. Hors d’état de parler, elle indiquait par des gestes les secours qu’elle croyait encore possible de lui donner. Elle me serrait la main en signe de reconnaissance. Ce fut ainsi qu’elle expira[1].

La souffrance humaine offensait la délicatesse de ses sens et la pureté de son intelligence. Il en avait une haine stérile, mais sincère. Malheureux aux autres et à lui-même, il n’a jamais voulu le mal qu’il a fait. Je lis dans une lettre inédite qu’il écrivait en 1815 à la baronne de Gérando : « Une singularité de ma vie, c’est d’avoir toujours passé pour l’homme le plus insensible et le plus sec, et d’avoir constamment été gouverné et tourmenté par des sentiments indépendants de tout calcul et même destructifs de tous mes intérêts de position, de gloire ou de fortune. »

Assurément il ne se gouvernait ni par intérêt ni par calcul : il ne se gouvernait pas, et c’est ce qu’on lui reprochait. Homme public, il obtint la popularité sans jamais atteindre la considération. Au terme de sa vie agitée, parfois si brillante et toujours douloureuse, il demanda un fauteuil à l’Académie ; l’Académie le lui refusa et, pour aggraver son refus, elle donna ce fauteuil à M. Viennet, qui était un sot, mais

  1. Lettre sur Julie, à la suite d’Adolphe, édit. Lévy, p. 214.