Page:La Vie littéraire, II.djvu/105

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désigner Judas avec pitié comme le plus malheureux des apôtres. Et remarquez que son mysticisme confine à la philosophie naturelle. Ce que ce pauvre prêtre pensait du traître du mont des Oliviers, le philosophe le pense de tous les criminels. L’anthropologie ne voit plus dans le criminel qu’un malade incurable ; elle regarde les scélérat avec une tranquille pitié ; elle dit à l’assassin ce que Jocaste disait à Œdipe, après avoir percé le mystère de la destinée de cet homme aveuglé : « Malheureux !… C’est le seul nom dont je puisse te nommer et je ne t’en donnerai jamais plus d’autre. » Pensée humaine et prudente !

Le déterminisme nous a tous plus ou moins touchés. La doctrine de la responsabilité est ébranlée dans les esprits les plus fermes. Le plus sage est de répéter aujourd’hui les paroles si douces et si désolées de la malheureuse reine de Thèbes. Mais fut-il jamais une époque où les hommes aient cru pleinement à la liberté humaine ? Je n’en vois pas. Les philosophes furent toujours partagés sur ce point comme sur tous les autres. Quant au christianisme, il s’est toujours efforcé de concilier le libre arbitre avec la prescience divine sans jamais y parvenir.

Tout est mystère dans l’homme et nous ne pouvons rien connaître de ce qui n’est pas l’homme. Voilà la science humaine ! En vérité, la doctrine de l’irresponsabilité des criminels n’est pas une nouveauté dangereuse. Elle n’a même pas pratiquement un intérêt très considérable. Elle viendrait à prévaloir, que nos lois n’en