Page:La Vie littéraire, II.djvu/124

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Enfin, des êtres intelligents y voient le jour. Ils ont soif d’aimer et de connaître. Ils mesurent leur monde et l’immensité de ce monde les étonne. Leur intelligence est pleine d’inquiétude et d’audace. Armés d’appareils puissants, ils se mettent en communication avec cette partie de l’univers dans laquelle ils sont lancés. Ils sondent l’espace, ils découvrent des formes inintelligibles dans l’infini, ils distinguent, sans connaître leur véritable nature, quelques soldats des deux armées, un moulin et le clocher vers lequel ils se dirigent à leur insu. Ils parviennent même à mesurer approximativement quelques distances. Mais ils se figurent que le monde dont ils peuplent la superficie est suspendu immobile dans l’espace et que les figures inconnues qu’ils distinguent à peine au sein de l’infini sont également immobiles. Et comment auraient-ils une autre impression, puisque la vie de chacun d’eux est si courte qu’ils l’accomplissent tout entière, avec ses joies et ses douleurs et ses longs désirs, avant que ce boulet, leur monde, ait franchi une partie appréciable de l’espace. Ce qui est un moment dans le trajet du projectile est pour eux une longue suite de siècles. Pourtant, comme ils sont géomètres, leurs savants finissent par s’apercevoir que la sphère qu’ils habitent, immobile en apparence, est animée en réalité d’un mouvement très rapide et que les corps lointains qu’ils découvrent aux confins de leur univers sont également animés de mouvements propres. Peu à peu, sous l’action de causes très complexes, le boulet devient inhabitable, l’intelligence, puis la vie s’y éteignent, et ce n’est plus