Page:La Vie littéraire, II.djvu/239

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ignore et nous l’ignorons. Il a ses auteurs, qui travaillent pour lui dans la perfection. Il ne nous demande rien. Il ne fait point de mal, puisqu’il ne pense point. Est-il vrai qu’il « pervertisse l’instrument merveilleux » ? Je crois bien qu’en effet il use la langue, puisqu’il s’en sert. Mais, après tout, il en a bien le droit : la langue est faite pour lui comme pour nous. J’ajouterai même qu’elle est faite par lui. Oui, « l’instrument merveilleux » est l’œuvre de la foule ignorante. Les lettrés y ont travaillé pour une assez petite part, et cette part n’est pas la meilleure. Voilà le grand point. La langue n’appartient pas en propre aux lettrés. Ce n’est pas un bien dont ils puissent user à leur guise. La langue est à tout le monde. L’artiste le plus savant est tenu de lui garder son caractère national et populaire ; il doit parler le langage public. S’il veut se tailler un idiome particulier dans l’idiome de ses concitoyens ; s’il croit qu’il peut changer à son gré le sens et les rapports des mots, il sera puni de son orgueil et de son impiété : comme les ouvriers de Babel, ce mauvais artisan du parler maternel ne sera entendu de personne, et il ne sortira de ses lèvres qu’un inintelligible murmure.

Gardons-nous d’écrire trop bien. C’est la pire manière qu’il y ait d’écrire. Les langues sont des créations spontanées ; elles sont l’œuvre des peuples. Il ne faut pas les employer avec trop de raffinement. Elles ont par elles-mêmes un goût robuste de terroir : on ne gagne rien à les musquer.

Il est mauvais aussi d’employer trop de termes anciens et d’affecter