Page:La Vie littéraire, II.djvu/306

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ont respiré l’air sacré, l’air si doux que nous respirons à notre tour ; songez qu’à chaque mot du dictionnaire correspond une idée ou un sentiment qui, fut l’idée, le sentiment d’une innombrable multitude d’êtres ; songez que tous ces mots réunis c’est l’œuvre de chair, de sang et d’âme de la patrie et de l’humanité.

Une vieille chanson de geste raconte que la comtesse de Roussillon, fille du roi de France, vit du haut de sa tour une grande bataille que se livraient, pour sa dot, son père et son mari. La bataille fut sanglante et dura tout le jour. Quand tomba la nuit, la comtesse descendit seule de sa tour et s’en alla contempler les morts, « ses beaux chers morts couchés dans l’herbe et la rosée » . Et la chanson de geste ajoute : « Elle voulait les baiser tous. » Eh bien, je sens aussi une tendresse profonde me monter au cœur devant tous ces mots de la langue française, devant cette armée de termes humbles ou superbes. Je les aime tous, ou du moins tous m’intéressent et je presse d’une main chaude et émue le petit livre qui les contient tous. Voilà pourquoi j’aime surtout les dictionnaires français.

Je vous disais que celui de M. Gazier est nouveau par le plan et par l’exécution. Il mêle au vocabulaire français des éléments d’encyclopédie générale. Il admet la terminologie scientifique, qui s’est considérablement étendue en peu d’années. Enfin, et c’est sa plus grande originalité, il contient des cartes et des figures. Je vois avec plaisir que l’Université commence à admettre l’enseignement par les estampes. De mon temps, je veux