Page:La Vie littéraire, II.djvu/322

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Et, de fait, la Tempête traite des mœurs des sauvages telles qu’on les connaissait au temps d’Elisabeth.

C’est aussi une féerie, et la plus belle des féeries ; c’est encore un traité de magie ou un symbole moral. C’est enfin une pièce politique, une étude sociale qui laisse bien loin, pour la justesse, l’étendue et la profondeur des vues, ces tragédies d’État dont on faisait grand cas dans notre XVIIe siècle français.

J’avoue qu’à cet égard le personnage de Caliban m’intéresse et m’inquiète beaucoup. M. Ernest Renan a bien compris que l’avenir est à Caliban. Ariel, entre nous, est fini ; il n’aspire plus qu’au repos et à la liberté. Dieu me garde de médire d’un esprit si charmant. C’est un ministre accompli. Il exécute très habilement les ordres du souverain. Il opère les arrestations avec dextérité. Il s’empare des gens sans les molester. Il divise, il endort les ennemis de la constitution. Tous les ministres n’en sauraient faire autant. Il est très autoritaire avec des façons gracieuses. Ses dehors sont séduisants et il sait, quand il lui plaît, se changer en nymphe oréade. Ajoutez à cela qu’il se plonge dans les entrailles de la terre, même lorsqu’elle est durcie par la gelée. À ce trait on reconnaît un ingénieur des mines prompt à descendre dans les bennes et jaloux de payer de sa personne. Il a été ministre des travaux publics avant d’être ministre de l’intérieur, et il a su remplir parfaitement les fonctions les plus diverses. Il a l’esprit souple, rapide, agile et coulant ; il se transforme sans cesse comme les nuages ; c’est un vrai génie de l’air.