Page:La Vie littéraire, II.djvu/324

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abhorré, d’être capable de tout mal, d’ordure infecte, de vile essence, de graine de sorcière, on reconnaîtra que ce n’est point là le langage de la justice. Si, dans le conflit sans cesse ouvert entre le maître et l’esclave, le noble duc de Milan perd ainsi le sang-froid, exigera-t-on de la pauvre brute une modération parfaite et le sens de la mesure ? Il faut pourtant rendre cette justice à Prospero qu’il s’est efforcé d’éclairer l’intelligence du malheureux Caliban. Il n’a rien épargné pour faire de la brute un homme et même un lettré. Peut-être n’a-t-il accompli cette tâche qu’avec trop de zèle et d’empressement. Prospero est lui-même un savant. C’est aussi un idéologue. À Milan, tandis qu’il étudie dans des bouquins l’art de gouverner, des conspirateurs lui enlèvent son duché et le relèguent dans une île déserte où il recommence ses expériences. Il vit dans les livres et proclame hautement que tel volume de sa bibliothèque est plus précieux qu’un duché. Il est aussi persuadé qu’aucun de nos hommes d’État républicains des avantages de l’instruction, en quoi il se prépare la déception que ceux-ci commencent à éprouver. Il envoie Caliban à l’école. Mais Caliban, qui n’est point fait pour goûter les joies pures de l’intelligence, veut être riche dès qu’il sait lire. À Prospero, qui lui vante les bienfaits de l’instruction, il répond tout net :

« Vous m’avez appris à parler, et le profit que j’en retire est de savoir comment maudire. La peste rouge vous tue pour m’avoir enseigné votre langage ! »

À l’origine, les rapports entre Prospero, le gouvernant,