Page:La Vie littéraire, II.djvu/94

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un juste. Pourtant et ce saint et ce juste eurent leur sensualité. Ils regardaient les peaux-de-truie avec concupiscence, ils palpaient le veau fauve avec volupté. Ce n’est pas qu’ils missent leur joie et leur orgueil à disputer aux princes des bibliophiles les éditions princeps des poètes français ; les reliures pour Mazarin ou pour Canevarius, les ouvrages à figures, contenant double et triple suite. Non, ils étaient pauvres avec joie, humbles avec allégresse. Ils portaient jusque dans leur goût pour les livres l’austère simplicité de leur vie. Ils n’achetaient que de modestes ouvrages modestement reliés. Ils recueillaient volontiers les écrits des vieux théologiens dont personne ne veut plus. Ils mettaient la main, avec une joie naïve, sur les curiosités dédaignées qui tapissent la boîte à dix sous du bouquiniste expert. Ils étaient contents quand ils avaient trouvé l’Histoire des perruques de Thiers ou le Chef-d’œuvre d’un inconnu, par M. le Dr Chrysostome Matanasius. Ils laissaient les maroquins aux puissants de ce monde. Le veau granit, le veau fauve, le basane et le parchemin suffisaient à leurs désirs, mais ces désirs étaient ardents ; ils avaient la flamme et l’aiguillon : c’étaient enfin de ces désirs que la symbolique chrétienne, au moyen âge, représentait dans les églises sous la forme de diablotins à tête d’oiseau et à pieds de bouc, avec des ailes de chauve-souris. J’ai vu, j’ai vu M. le chanoine caresser d’une main amoureuse un bel exemplaire en veau granit des Vies des pères du désert. C’est là un péché. Et ce qui aggrave la faute, c’est que ce livre est janséniste. Quant au