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L’italique des Aldes lui avait fait oublier la perte de son riflard.

J’ai connu dans le même temps, sur les quais, un bibliomane plus étrange encore. Il avait coutume d’arracher des livres les pages qui lui déplaisaient et, comme il avait le goût délicat, il ne lui restait pas dans sa bibliothèque un seul volume complet. Ses collections étaient composées de lambeaux et de débris qu’il faisait relier magnifiquement. J’ai des raisons pour ne point le nommer, bien qu’il soit mort depuis longtemps. Ceux qui l’ont connu le reconnaîtront quand j’aurai dit qu’il composait lui-même des livres somptueux et bizarres sur la numismatique et les publiait par fascicules. Les souscripteurs étaient peu nombreux ; il y avait parmi eux un collectionneur violent, dont le nom est resté célèbre chez les curieux, le colonel Maurin. Il s’était fait inscrire le premier et était fort exact à retirer chaque livraison à mesure qu’elle paraissait. Pourtant il dut faire un assez long voyage. L’autre l’apprit : Aussitôt il publia un nouveau fascicule et envoya aux souscripteurs l’avis suivant : « Tout exemplaire du dernier fascicule qui n’aura pas été retiré par le souscripteur dans le délai de quinze jours sera détruit. » Il comptait bien que le colonel Maurin ne pourrait revenir à temps pour retirer son exemplaire. En effet, ce n’était pas possible. Mais le colonel fit l’impossible et se présenta chez l’auteur-éditeur le seizième jour, au moment même où celui-ci jetait le fascicule au feu. Une lutte s’engagea entre les deux collectionneurs. Le