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ESSAI SUR L’HISTOIRE

me manière à l’usage établi ; mais l’usage n’en avait pas moins tort. Cependant, comme en suivant de préférence le dialecte de Léon, les écrivains bretons de nos jours n’ont pas hésité à adopter les mots de Cornouaille et de Tréguier, toutes les fois qu’ils y ont rencontré des sons plus conformes aux caractères distinctifs des langues primitives, et des expressions plus analogues au génie du breton, selon la méthode et le conseil de Le Gonidec, ils ont obvié très-souvent à l’inconvénient dont je parle. Seul, le dialecte vannetais n’a pu offrir aucune ressource en ce genre : les mots y ont perdu la plupart des belles qualités des langues. Ils se contractent, s’oblitèrent et se décolorent à mesure qu’on s’éloigne de Léon et des montagnes de Cornouaille, cantons où l’idiome est plus riche, plus sonore, plus méthodique qu’ailleurs. Lorsqu’on arrive à Vannes, ils sont tout à fait tronqués. Ici l’accent tonique, au lieu de s’élever avec la pénultième syllabe, tombe avec la dernière ; les voyelles éclatantes s’assourdissent ; les brèves remplacent les longues ou se contractent ; les désinences disparaissent ; Ve muet, inconnu dans les autres dialectes, tient presque toujours lieu de Vé fermé. La syncope est partout ; les mots harmonieux de Léon, dépouillés de leur majesté, apparaissent à l’état de monosyllabes : pareils, si j’ose dire, à des arbustes vigoureux et verdoyants au soleil, rabougris et rachétiques à l’ombre [1]. Dans ces mots brusques et précipités, comme l’a très-bien remarqué M. Ozanam, en parlant des langues germaniques, on croit sentir la prononciation d’une foule grossière qui ne donne rien aux plaisirs de l’esprit, qui se soucie peu de l’euphonie, pressée de se faire entendre et satisfaite d’être comprise. C’est que, dans le Morbihan, le français domine et est cité, tandis qu’au contraire, le breton l’est particulièrement dans le Finistère : breton de Léon et français de Vannes, dit un proverbe armoricain.

Les mots, dit un autre proverbe, sont fils de la terre, et les idées filles du ciel. On peut le voir par ce qu’on vient de lire des altérations que les expressions de l’idiome élégant de Léon ou des montagnes de la Cornouaille subissent en s’éloignant de leur source, et en passant par la bouche d’hommes des autres dialectes. Heureusement, il n’en est pas ainsi de la grammaire : les différences de dialectes n’altèrent pas la forte organisation de la langue bretonne ; nous la retrouvons dans tous ; le temps même, nous l’avons vu, ne l’a pas changée davantage : elle est au xixe siècle, dans ses lois générales, ce qu’elle était au xve, au xiie et au vie siècle. Je ne pourrai donc pas faire l’histoire de ses variations, comme j’ai fait celle du vocabulaire. Je me bornerai à quelques considérations sur le style des écrivains bretons, et sur les grammaires bretonnes publiées depuis le xvie siècle.

Ce qui frappe surtout dans les auteurs antérieurs à cette époque, et de plus en plus, à mesure qu’on remonte les siècles, c’est l’absence fréquente de liaisons grammaticales entre les mots, le grand nombre de prépositions, d’adverbes, de conjonctions et même de verbes sous-en-

  1. Ainsi le léonnais lavaret, dire, devient laret en Cornouaille, et lert sur les frontières du Morbihan. Laza, tuer, en Léon ; en Cornouaille, lazo ; en Vannes, lahein. Prézégi, parler, en Léon ; prézeg, en Corn. ; prég, en Vannes. Ankounac’haat, oublier, en Léon ; ankouat, en Corn ; ankout, en Vannes. Névéziñti, nouvelle, en Léon ; en Corn., néveñti, en Vannes, neûted. Divéza, dernier, en Léon ; en Corn., divéa ; en Vannes, devéañ, etc.