Page:La chanson de Sainte Foi d’Agen.djvu/81

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Silvain [210], et qu’elle prie Diane et le Dieu Janus ». Elle n’en fit pas plus cas que d’un chien, et elle ne se soucia pas de ce païen. Elle eut le cœur ferme et fort et sain, et elle tint Dieu du Ciel pour souverain [215] ; ainsi doivent faire tous Chrétiens.


XXIII. — Quand le jour tira vers le soir, il ordonna de la battre et de la frapper ; il fit ouvrir la plus forte prison, et il dit qu’on l’y traîne [220]. Alors le fou poussa un tel soupir comme fait le vilain quand il va mourir. Il se coucha au lit, mais ne put pas plus dormir que celui qui veut fuir sur le champ. Grande angoisse lui causa celui qui le fit élever [225]. Au matin, il se prépara pour l’audience et ordonna qu’elle comparût devant lui : « Maintenant, demoiselle, je veux savoir quelle compagnie tu veux servir ». Elle parla, et sut le lui dire [230] : « De notre Seigneur je veux me tenir près, et, en ce que je sais mieux distinguer, il n’existe rien que j’admire tant. Si je ne l’ai pas, je ne puis me sauver. Je n’aime rien tant, je ne veux pas mentir [235] ; avec lui je veux rire et me réjouir ».


XXIV. — Alors il l’interpella avec grand amour : « Ôtez-vous toute d’une telle erreur. Choisissez un honneur suprême : vous l’aurez, et plus grand encore [240]. Vous avez un corps de belle ligne ; vous semblez fille d’empereur ». La demoiselle répond sans hésiter : « C’est là raillerie et déshonneur. Je ne veux pas changer de seigneur. Le Seigneur qui me fit, je crois en lui et je l’adore : qui le perd peut en avoir peur [245] ».


XXV. — Entendez le traître plein de fraude, s’il lui porta un bien grand coup : « Tes parents adorèrent Diane [250], ainsi que tous les hommes de notre peuple. Si vous laissez ce fou jouvenceau, et si vous voulez faire ma volonté, d’or je vous ferai la ceinture, et de vraie pourpre le vêtement [255] ; cent demoiselles vous suivront, et mille cavaliers en équipement ». Elle lui répond, et sans mentir : « Ne plaise à Dieu que fou me tente ! J’aime mieux mourir ou pendre au vent [260], que de prendre l’engagement que vous me proposez. Il a perdu Dieu celui qui consent à cela.


XXVI. — « Pour moi, que je sois saine ou malade, je me tiendrai avec Dieu, comme j’ai coutume de faire. Que personne ne me glorifie ni ne m’injurie pour cela [265] ! Diane ni Jupiter je ne veux, ni Minerve je n’accueille : je n’y veux pas tour-